Interview - L'Open Insurance comme vecteur de transformation digitale

L'ouverture des systèmes d'information à des briques technologiques et des services proposés par des partenaires permet aux assureurs d'accélérer leur transformation et de gagner en agilité.
L’accélération des innovations dans l’assurance démultiplie les opportunités pour se démarquer sur un marché de plus en plus concurrentiel. Il est ainsi devenu critique pour les assureurs de tirer au mieux parti des dernières technologies, afin de garantir la meilleure qualité de service et optimiser les processus de distribution et de gestion des contrats. Dans ce cadre, l’Open Insurance s’impose peu à peu comme un vecteur de transformation digitale et un facilitateur à l’adoption des solutions les plus en pointe.

L’Open Insurance correspond à l'ouverture des systèmes d'information à des briques technologiques et des services proposés par des partenaires dans le secteur de l’assurance. Cette approche permet l’échange de données entre tiers dans le but de tirer parti de la connaissance et compétence mutuelle entre acteurs de l’écosystème et ainsi permettre la rationalisation des connaissances au bénéfice de tous.

Ce nouveau modèle s’impose peu à peu comme un vecteur de transformation digitale et un facilitateur à l’adoption des solutions les plus en pointe et devrait s’accélérer dans les prochaines années avec la mise en œuvre de réglementation comme Financial Data Access (FIDA) visant à redonner leurs données aux assurées. 

Pour illustrer cette tendance de fond, nous avons demandé à Yasser ECHOUKRY, directeur général de  FASST, plateforme de gestion et de distribution pour l’assurance, son éclairage sur les bénéfices de l’Open Insurance et sa contribution à la transformation du secteur assurantiel

1) Comment définirez-vous l'Open Insurance ?

L’Open Insurance, c’est l’ouverture des offres, des ressources, des données d’un assureur à un tiers ou d’un tiers vers un assureur.

Cette ouverture est permise grâce aux deux évolutions technologiques que sont le cloud et les API. Le système le plus connu d’Open Insurance est le système Noémie, qui permet de payer automatiquement 94% de tous les remboursements de frais de santé par les assureurs à partir des données reçues de la caisse primaire d'assurance maladie.

 

2) Quel rôle jouent les technologies telles que la blockchain, le big data, et l'intelligence artificielle dans l’Open Insurance ?

L’Open Insurance va accélérer l'usage de ces technologies par les assureurs. Par exemple, aujourd'hui plusieurs entreprises spécialisées dans les risques de fraudes (contrôle des pièces d'identités, contrôle des justificatifs de domicile, etc.), utilisent des outils d’intelligence artificielle. Grâce à l’Open Insurance, ces outils sont accessibles directement par l’assureur sans qu’il n’ait à les développer par lui-même. En effet, dans le parcours de gestion il est possible d’avoir un service de contrôle adossé à une intelligence artificielle qui va nous donner une réponse sur la validité des justificatifs fournis.

L’Open Insurance va permettre de donner accès à l’assureur à la plupart des technologies dans le cloud. Il va créer des connexions entre un service client blockchain (peu utilisé dans l’assurance), des sujets big data, d'intelligence artificielle et permettra de les connecter plus facilement.

 

3) Quels sont les bénéfices de l'Open Insurance et qui en sont les principaux bénéficiaires ?

En théorie tout le monde est gagnant, on parle de symétrie des attentions.

Pour l’assuré : le parcours client est plus fluide et il y a plus d'instantanéité. Par exemple, pour l’obtention d’un prêt, avant il fallait se déplacer pour avoir un certificat médical chez le médecin. Aujourd’hui, tout se fait en ligne par questionnaire.  

Pour l’assureur : l’Open Insurance peut influencer son modèle économique, car il va pouvoir s'appuyer sur des acteurs plus spécialisés et plus efficaces que lui sur certaines parties de la chaîne de valeur. En effet, un assureur qui va utiliser l’Open Insurance pourra développer plus de courtage, de gestion déléguée, de réassurance, et externaliser des activités à long terme.

L’assureur peut également être le grand perdant de ce système et se retrouver avec des gens meilleurs que lui sur toute la chaîne de valeur et donc in fine se poser une question existentielle.  En effet, s'il ne fait pas attention, il risque de perdre la main et de se retrouver complètement dépendant des courtiers en distribution, des gestionnaires en gestion ou encore des réassureurs dans les tarifs.

Pour le distributeur : il a accès à plus d'assureurs plus rapidement, il est gagnant. Il aura effectivement un panel d'offres d'assurances qui sera beaucoup plus large. Et si en plus, il est aidé par des systèmes d'intelligence artificielle, il pourra être plus performant dans son devoir de conseil auprès de ses clients.

Pour les insurtechs : elles sont gagnantes aussi, car l’accès aux clients est facilité.

 

4) En quoi le recours à des insurtechs peut accroître l'avantage concurrentiel des assureurs, sans risquer d’être dépendant vis-à-vis de partenaires ?

Les assureurs n’ont ni intérêt, ni les capacités à faire de la recherche et développement sur des sujets comme la lecture automatique de données, la signature électronique ou des sujets technologiques concernant plusieurs secteurs, même s’il existe de nombreux cas d’usages en assurance sur ces sujets. Ils ont tout intérêt à utiliser des modèles déjà existants qu’ils pourront adapter à l'assurance. En effet, ils ont plus intérêt à s'appuyer sur des insurtechs ou d’autres tiers spécialisés sur une partie de la chaîne de valeur.

Par exemple :

  • Zelros, insurtech proposant de l’intelligence artificielle, spécialisée dans la relation client ;
  • Shift Technology, insurtech spécialisée dans la détection des fraudes ;
  • FASST, insurtech proposant de nombreuses solutions digitales, notamment des API pour accéder aux minimas pour les conventions collectives nationales (CCN) ou pour accéder au R.O des TNS en prévoyance

L’assureur a intérêt à se focaliser sur son avantage concurrentiel, là où il sait qu’il est le meilleur. Par exemple, si sa force est la relation client avec une cible de clientèle qu’il maîtrise, il va chercher des produits de l’extérieur et les vendre à cette cible. Si sa force est la gestion, il pourra se spécialiser sur ce maillon de la chaîne et avoir recours à des partenaires pour les éléments de la chaîne de valeur que ces derniers maîtrisent moins. L’assureur doit se poser les bonnes questions. Certains éléments au cœur du modèle économique de l’assureur devront être maintenus même s’ils ont un coût élevé, s’il s’agit d’un intérêt stratégique.

L’intégration de nouvelles technologies a un coût. Il faut tenir compte de ce coût par rapport à la valeur que ces nouvelles technologies créent. Aujourd’hui, les assureurs sont obligés de faire de l’omnicanal, c’est devenu un standard de marché. Et sans les nouvelles technologies, notamment le cloud, qui permet de stocker de la donnée, ils ne seront plus compétitifs. Aujourd’hui, les assureurs sont dans l’obligation d’offrir un certain nombre de services. Par exemple, télécharger une carte de tiers payant est devenu un standard de marché, tout comme les souscriptions individuelles en ligne et de plus en plus, les ventes de contrats collectifs, malgré leur complexité.

 

5) Quels sont les freins à la collaboration entre assureurs et insurtechs ?

Tout d’abord, sur les cinq dernières années je voudrais dire qu’il y a de moins en moins de freins. Cela a beaucoup progressé des deux côtés.

Le premier frein est la temporalité. Le temps de prise de décision n’est pas le même. La start-up, elle, raisonne à la semaine ou au mois. L'assureur raisonne en années dans ses prises de décisions.

Le second frein est plutôt du côté de l’assureur, qui peut avoir une certaine résistance au changement. Les insurtechs souffrent parfois d’un manque de reconnaissance. C’est de moins en moins vrai, mais c’est toujours présent. Bien sûr les insurtechs n’ont pas l’historique des assureurs. Certes, les insurtechs proposent de belles solutions, en termes d’expérience utilisateur et de technologie. Mais parfois, il leur manque le vernis de l’assureur.

 

6) Pouvez-vous nous donner des applications concrètes liées à l’Open Insurance ?

Dans le cadre d’une assurance collective, le vrai risque est porté par l’employeur. Si nous prenons le cas d’un boulanger qui souscrit un contrat de prévoyance générique chez un assureur, qui ne respecte pas la convention collective de la profession, le fait de ne pas respecter les garanties minimales fait encourir trois risques à ce boulanger :

  • Le premier, le plus faible mais néanmoins bien réel, est celui d’un redressement URSSAF pour non-respect de la réglementation ;
  • Le deuxième est le risque prudhommal ;
  • Le troisième risque, le plus important, est le risque financier. Par exemple, si un salarié de ce boulanger décède, la convention collective impose une indemnité de salaire aux ayants-droits pendant une période de trois années. Le boulanger n’ayant pas souscrit à cette garantie, serait alors dans l’obligation de financer par lui-même ces indemnités. Au risque de faire péricliter l’entreprise, compte-tenu des montants en jeu.

L’objectif est de faire prendre conscience aux assurés des risques qu’ils prennent. C’est le type de service que nous proposons chez FASST, grâce à nos outils d’aide à la décision.

 

7) Avec les évolutions règlementaires liées à la protection des données, comment faites-vous pour garantir la protection de ces données pour être en conformité avec la règlementation mais aussi pour maintenir la confiance des clients ?

Nous avons la chance d'être nés dedans en 2017. Nous sommes donc compliant by design, c'est-à-dire que le service est conçu de façon à ce que les données puissent être purgées grâce à des systèmes intégrés pour respecter le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

Dans un deuxième temps, nous avons également fait le choix d’utiliser la technologie docker. Les données spécifiques à un client ne le sont que dans le docker, il n’y a donc pas de mélange de données entre les différents clients.

 

8) Quels sont les grands enjeux et défis futurs de l’écosystème assurantiel, auxquels les insurtechs peuvent répondre avec l’Open Insurance ?

Le premier enjeu est un enjeu d'agilité pour faire face aux nouvelles exigences règlementaires. Durant ces cinq dernières années, il y a eu la loi Pacte, le contrat responsable, le 100% santé, la réforme des retraites, etc. L’assureur se doit donc d’être agile. Chez FASST, nous sommes à même de répondre à ces exigences d’agilité. Nous avons ainsi réussi, par exemple, à lancer un outil d’aide à la vente (OAV) omnicanal santé collective pour la métallurgie en un mois, entre le lancement de l’appel d’offres et la disponibilité du produit.

Le deuxième enjeu est le développement commercial. Chez FASST, nous proposons une plateforme qui permet de gagner 25% de productivité grâce à l’omnicanal, par l’intermédiaire des nouveaux canaux et du courtage. Cela va rendre plus fluide la vente et donc favoriser le développement commercial.

Le troisième enjeu est celui de la diminution des coûts. Sur un parcours de souscription classique, alors qu’une affiliation coûterait six euros à l’assureur, un parcours digital lui permettrait d’économiser 60 000 euros sur une année pour 10 000 souscriptions. Nous avons des outils qui permettent une tarification plus précise, en contribuant à améliorer le ratio sinistre sur primes (S/P). Nous offrons l'agilité et globalement nous améliorons l’expérience client et collaborateur. Un client va ainsi préférer l’adhésion sur un bulletin de souscription digitale plutôt que physique : cela améliore l’expérience de l’assuré, tout comme celle du gestionnaire.

De manière plus large, les insurtechs vont aider les assureurs à se transformer. Elles vont leur permettre de répondre plus vite aux exigences réglementaires, au développement commercial, à la diminution de leurs coûts. Et in fine, tout cela améliore l'expérience client et celle des collaborateurs.

 

9) Quelles sont les perspectives et les opportunités de croissance de l'Open Insurance dans les années à venir et comment cela pourrait-il transformer l'industrie de l'assurance ?

L’Open Insurance est amené à croître dans les prochaines années. Mais je pense que le risque pour l’assureur serait de trop s’ouvrir et de se retrouver avec des champions sur chaque partie de la chaîne de valeur, au risque de se faire dépasser par tous les autres acteurs. Même si l’assureur reste le détenteur de l’agrément, il peut se retrouver dans une situation où, par un jeu de partage de la valeur, il perçoit une fraction, qui le contraint à redimensionner ses fonctions. Peu d’insurtechs cherchent à obtenir un agrément aujourd’hui, et préfèrent se concentrer sur d’autres parties de la chaîne de valeur.

 

10) Quelles innovations ou évolutions prévoyez-vous dans le domaine de l'Open Insurance ?

Le principal risque pour les assureurs, pour moi, est ce que j'appelle les nouveaux courtiers hybrides, i.e. des entreprises qui ont des réseaux salariés mais qui offrent des parcours de souscription propres aux courtiers. Ils sont en train de faire disparaître l'assureur au moment de la souscription. Des acteurs émergents vont même plus loin, à l’image de Xempus, insurtech allemande, qui propose un espace client à la place de l’assureur.

Et puis l'autre phénomène, c'est la « plateformisation », qui est une autre façon de voir l’Open Insurance.  Grâce à l’Open Insurance, des plateformes vont aller chercher le meilleur service au meilleur moment pour leurs assurés. Nous n’en sommes qu’au début, mais il est déjà possible d’identifier un certain appétit des fonds d'investissement pour ce segment du marché de l’assurance.

 

Pour conclure, les assureurs sont pressurisés par de nombreux facteurs conjoncturels tenant au contexte économique, tels que la variation des taux, l’inflation, la crise sanitaire qui a quand même coûté dix points de S/P à la prévoyance. Les assureurs doivent également faire face à la pression réglementaire, avec la loi pacte, le 100% santé, etc. comme on l’expliquait tout à l’heure. L’arrivée d’Alan, Acheel, et des autres nouveaux acteurs, conjuguée aux initiatives des acteurs traditionnels accentuent la concurrence au sein de l’industrie.

Le client est habitué aux parcours d’abonnements simples proposés dans le secteur du numérique. Cela accroît la pression sur les assureurs, qui n'ont pas le choix : soit se transformer, soit risquer de perdre des parts de marché, et à terme disparaître. L'Open Insurance est un des moyens pour renouveler leur modèle économique et renforcer leur avantage concurrentiel sur le long-terme en nouant des partenariats stratégiques.

 

Interview menée par Nicolas Frérotte