Avis d'expert | L’impact de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêts sur le secteur de l’assurance en Europe.

Mars 2024 | L'Autorité Européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) a récemment émis une analyse approfondie de l’impact de la hausse de l’inflation sur les assureurs en Europe, dans un rapport intitulé "Impact of Inflation on the Insurance Sector" paru le 5 octobre 2023.

Cette étude examine les répercussions de la montée de l'inflation et des taux d'intérêt, de la crise du COVID en 2020 jusqu’au dernier trimestre 2022, en évaluant les impacts à moyen et long terme de ces phénomènes. Une préoccupation majeure pour le marché de l'assurance, dans le contexte macroéconomique actuel. 

Le rapport de l'EIOPA scrute minutieusement les effets conjugués de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt sur les niveaux de capitaux, sur la rentabilité et sur la liquidité des assureurs européens, ainsi que sur le comportement des assurés et prospects. Le portefeuille des assureurs de l'Union Européenne, principalement constitué d'actifs à revenu fixe, subit les secousses d'un changement rapide et brutal.

Cette dynamique engendre des effets préjudiciables pour certains secteurs de l’assurance encore visibles sur toute l’année 2023 et probablement aussi longtemps que les taux resteront sur ce plateau élevé. Ils sont la conséquence d’une hausse du coût de la vie et réduisent les volumes de collecte dans un marché hautement concurrentiel, empêchant les assureurs d’accéder pleinement aux opportunités actuelles d’investissements.

L’assurance non-vie : forte exposition aux effets de l’inflation

Selon le rapport de l'EIOPA, les pressions inflationnistes et la montée des taux d'intérêts entraînent des répercussions notables sur les provisions techniques des assureurs non-vie, leur rentabilité, et les exposent à des risques de liquidité.

En raison de l'effet de l’inflation qui engendre une hausse du coût des sinistres et des coûts associés à leur gestion, les provisions techniques des assureurs non-vie sont revues à la hausse.  Cet effet inflation est cependant atténué par la hausse des rendements des investissements, liés à la hausse des taux d’intérêt. À noter que les provisions techniques non-vie ont tout de même enregistré une baisse de 2% au quatrième trimestre 2022 par rapport au quatrième trimestre 2021, en raison d'un volume d'activité moindre en Europe et de l'effet d’actualisation l'emportant sur l'effet inflationniste des sinistres.

Pour les assureurs non-vie, l'impact immédiat de l'inflation sur la rentabilité est généralement défavorable. En 2022, la rentabilité de l’activité de souscription pour les assureurs non-vie a diminué par rapport à 2021 en raison d'une augmentation des dépenses de 4,3% et des sinistres de 11,3%, tandis que les primes n'ont connu qu'une hausse de 6,4%. Ainsi, modulo un temps de latence réglementaire, les assureurs non-vie disposent du levier d’ajustement de prime pour s’affranchir des effets de l’inflation et de la hausse des taux. Il faut toutefois garder à l’esprit que cela se fait au détriment de l’assuré.

Le risque de liquidité pour les assureurs non-vie est accru dans ce contexte car il conjugue l’inflation, la hausse des taux d’intérêts et une stratégie d’investissement portée sur davantage de produits dérivés.

L’assurance vie : un moindre impact de l’inflation

Pour les assureurs vie, l’inflation et ses impacts négatifs sur les provisions techniques sont atténués par la hausse des taux d'intérêt.

Selon les données de l'EIOPA, les provisions techniques vie ont enregistré une baisse de 23% entre le dernier trimestre 2021 et le dernier trimestre 2022. Cette diminution est attribuée à l'effet positif des taux d'intérêts croissants, surpassant l'impact négatif de l'inflation sur les coûts de l’activité d’assurance vie.

L’EIOPA soulève également la faible évolution des profits des assureurs vie. En effet, les investissements réalisés ont généré un rendement limité de 1,1%. Cette faible performance est attribuée aux conditions du marché spécifiques à l'année 2022. À long terme, les assureurs pourraient bénéficier de nouveaux investissements à des rendements plus élevés en raison de la hausse des taux s’ils parviennent à les saisir à temps.

Le risque de liquidité des assureurs vie se matérialise selon l’EIOPA par un risque lié aux rachats et à la non-souscription de contrats. En effet, les clients en portefeuille pourraient être tentés de résilier leurs contrats en raison de taux proposés moins attrayant que sur le marché, et les prospects, pour les mêmes motifs, de ne pas souscrire à ce type de produit compte tenu du taux de rendement proposé. 

L’assurance vie : la menace d’un plateau de taux élevés dans un contexte concurrentiel âpre

Sur la période suivant le périmètre étudié par l’EIOPA, les activités d’Epargne et Retraite sont fortement exposés à la période de hausse des taux. Les assureurs sont pris dans un cercle vicieux dont ils ont peiné à s’extraire en 2023 : la décollecte. Si les assureurs encouragent l’accès aux supports UC (situation de collecte), cette tendance ne permet pas de contrebalancer la forte décollecte des supports Euro. Cette décollecte est poussée en particulier par la concurrence des banques, plus enclins à privilégier leurs propres produits (comptes à termes, livret A à 3%...) à des taux attractifs au détriment des assureurs traditionnels.

Pour faire face aux rachats, les assureurs sont contraints de céder des actifs en moins-value (obligations dont la valeur est impactée négativement par la hausse des taux). De ce fait, ils ne peuvent saisir les opportunités d’investissements actuels pour renouveler leurs portefeuilles d’obligations à des taux plus attractifs.  

En conséquence, pour limiter cette décollecte, les assureurs ont puisé fortement dans leurs PPE (Provisions Pour Excédents), en versant sur certains fonds des taux de PB (Participations aux Bénéfices) parfois supérieurs aux taux de rendements de ces mêmes fonds. Certains assureurs ont vu leurs stocks de PPE fondre de plus d’un tiers au titre de l’exercice 2023. En Solvabilité 2, cette opération dégrade les indicateurs de pilotage : baisse du ratio de solvabilité car la baisse de PPE se répercute en une diminution des fonds propres. Sans possibilité de reconstituer des réserves de PPE, l’activité Epargne et Retraite des assureurs ne pourra supporter deux nouvelles années similaires.

En résumé

Cette analyse approfondie de l'impact de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt sur le secteur de l'assurance en Europe offre une vision complète des défis et des opportunités auxquels font face les assureurs. Les nuances présentées dans les secteurs non-vie et vie mettent en lumière la complexité des réponses nécessaires pour maintenir la rentabilité et la compétitivité. Finalement, la dynamique de hausse des taux rapides débouchant sur le plateau élevé actuel a mis à rude épreuve le secteur de l’assurance vie, principalement l’Epargne et la Retraite. Elle les a contraints à puiser significativement dans leurs réserves de PPE pour limiter les effets de décollecte conjoncturelle, véritable cercle vicieux dans le contexte actuel.  Les supports UC, l’innovation vers de nouveaux produits attractifs ou un assouplissement de la politique de souscription (retour au 100%, boost de PB contractuelle…) sur des supports euro, sont autant de leviers sur lesquels les assureurs doivent compter pour contrer cette situation délicate à tenir au-delà de deux ans.

Sources:

Rapport EIOPA 2023 :   Report on the Impact of Inflation on the Insurance Sector.pdf

Auteurs : AMOUSSOU Kudzo Brayan (Junior), PEIFFERT Guillaume (Senior), L’HELIAS Alexandre (Manager) Conseil Assurances