Article | L'administration fiscale met à jour sa doctrine, mais est-ce bien plus clair ?

En bref …
Dans une mise à jour de sa doctrine administrative BOI-BIC-PVMV-30-10 du 3 avril 2024, l’administration fiscale a (notamment) intégré le principe dégagé par l’arrêt du Conseil d’Etat (« CE ») dit « Crédit Agricole » du 8 novembre 2019 (n°4222377) selon lequel la qualification comptable donnée à une ligne de titres à l’occasion d’une première acquisition, ne fait pas obstacle à ce que des titres de la même société, acquis ultérieurement, fassent l’objet d’une qualification comptable différente.
Cet arrêt, rendu, après consultation de l’ANC, sur le fondement des règles comptables spécifiques au secteur bancaire, a fait couler beaucoup d’encre : ce principe de « déconnexion » de la qualification de deux lignes de titres d’une même société, acquises à des dates et avec une intention différentes, peut-il s’appliquer au secteur industriel et commercial ?
Il aura fallu 5 ans à l’administration fiscale pour intégrer ce principe dans sa doctrine. Pour autant, cette modification, tant attendue, laisse un goût d’inachevé : le verbe est prudent et le lien entre le principe dégagé par l’arrêt Crédit Agricole et le secteur bancaire est – sciemment ? – repris.
Mais alors, que faut-il en conclure ?
A suivre …

Pour aller plus loin …

Qu’est-ce qu’un titre de participation ?

Pour rappel, constituent des titres de participation sur le plan fiscal, à la fois les titres désignés expressément comme tels par la loi fiscale et, plus généralement, ceux qui revêtent ce caractère sur le plan comptable : sont ici visés les titres dont la possession durable est estimée utile à l’activité de la société détentrice, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle (définition consacrée par le PCG 82).

A noter que la connexion entre les règles comptables et les règles fiscales sur la notion même de « titres de participation » a été rappelée à de multiples reprises par la jurisprudence, riche en la matière (par exemple CE 20-10-2010 n°314247 Sté Alphaprim et n°314248 Sté Hyperprimeurs ou encore CE 25-01-2017 n°391057 SARL C2M et CE 29-05-2019 Sté Montisambert).

Qualification de titres de participation : à quelle date doit-on se placer ?

S’agissant plus précisément de la date d’appréciation de la qualification de titres de participation, la doctrine administrative précisait de longue date (BOI-BIC-PVMV-30-10 dans sa version applicable jusqu’au 03/04/2024, §96 et suivants) que « les critères caractérisant les titres de participation, qui reposent pour une large part sur les objectifs poursuivis par la société lors de leur achat, s’apprécient donc à la date d’acquisition initiale des titres » et, en conséquence, qu’un projet de cession d’une participation était sans influence sur ce principe en précisant notamment que « en cas de recapitalisation d’une filiale afin de la céder à plus ou moins brève échéance, les titres nouvellement émis et acquis reçoivent la même nature de titres de participation que l’ensemble des titres déjà détenus au sein de la filiale ».

En définitive, le contribuable est lié par la qualification comptable qu’il a donné aux titres acquis initialement.

Se pose alors la question de la possibilité de corriger une erreur de qualification comptable commise ab initio. Le Conseil d’Etat a levé le doute en précisant dans un arrêt « Vivendi » (CE 29-05-2017 n°405083), qu’en cas d’inscription de titres en comptabilité dans un compte titres de participation, une telle écriture comptable peut être corrigée par l’administration fiscale ou l’entreprise à la condition que cette erreur ne revête pas un caractère délibéré.

A noter que dans sa mise à jour du 3 avril 2024, l’administration fiscale a également cité in extenso le considérant de principe de cette décision en illustration de ses développements sur la portée de l’inscription en compte « titres de participation » §130.

Acquisition de titres complémentaires – l’arrêt dit « Crédit Agricole » : véritable revirement ou tempête dans un verre d’eau ?               

Dans ce contexte, et à contrecourant des principes posés par l’administration fiscale dans sa doctrine applicable jusqu’au 3 avril 2024, le Conseil d’Etat a jugé, dans l’arrêt Crédit Agricole précité, que la qualification comptable donnée à des titres issus d’une acquisition antérieure ne fait pas obstacle à ce que les titres de la même société acquis ultérieurement reçoivent une qualification comptable différente : tout dépend alors de l’intention de l’acquéreur à la date de leur achat ou souscription.

Le considérant du Conseil d’Etat a certes l’apparence d’un revirement, mais qu’en est-t-il en substance ?

Ce qui est certain, c’est que cet arrêt aura fait parler de lui : doctrine, praticiens et entreprises se sont tour à tour livrés à leur propre interprétation, et pour cause : le Conseil d’Etat s’est appuyé sur la réglementation comptable applicable au secteur bancaire (qui permet notamment à des titres d’une même société d’être comptabilisés dans des comptes différents) pour dégager ce principe – quelle en est finalement la portée ? Cet arrêt pouvait-il raisonnablement être considéré à portée générale ?

Les commentaires de l’administration fiscale étaient donc attendus comme le fin mot de l’histoire et il aura fallu quasiment cinq années pour les obtenir !

Tant attendus, et pourtant … si l’administration fiscale intègre l’apport de l’arrêt Crédit Agricole dans sa doctrine, la mise à jour du 3 avril 2024 ne fera guère taire les dissensions sur le sujet :

-          L’administration fiscale mentionne §96 que « la qualification comptable donnée aux titres nouvellement acquis n’est pas nécessairement conditionnée par celle attribuée lors d’une acquisition antérieure » : et que veut donc dire « nécessairement » ?

-          Elle ajoute ensuite une citation in extenso de l’arrêt Crédit Agricole et début notamment la citation en rappelant que « dans les limites autorisées par la réglementation comptable applicable aux entreprises du secteur bancaire » : mais alors, quid du secteur industriel et commercial ?

Quelles conclusions tirer de cette mise à jour par l’administration fiscale de sa doctrine ? Il nous faudra sans doute faire encore preuve de patience voire de persévérance avant d’obtenir une position non équivoque sur le sujet.

 

Par Natacha Gavrilovic et Clarisse Legac, Avocates | Mazars Société d’Avocats