Article | Immobilier de bureaux : l'utilisateur comme premier vecteur de vertuosité pour le bâtiment

Mai 2024 | En réponse à la crise énergétique et aux enjeux d’attractivité auprès des collaborateurs, la sobriété énergétique s’impose progressivement comme la nouvelle ligne de conduite à adopter pour les bureaux. Insufflées par les utilisateurs, les premières initiatives en sens se multiplient et ouvrent la voie à de nouveaux leviers de négociation entre les acteurs de ce marché.

Tableau d’un appel général à la sobriété énergétique

En 2022, 43%1 des entreprises ont été confrontées à une augmentation des coûts liés à l’énergies d’au moins 50%. Ce bond énergétique, subit depuis la dernière décennie en raison des multiples facteurs géopolitiques et économiques, n’aura épargné aucun secteur, dont l’immobilier tertiaire. L’énergie constituant le premier type de dépenses dédiées à l’exploitation pour un poste de travail2, son inflation exerce alors une pression significative sur les coûts d'exploitation des bureaux ; en parallèle, la baisse de la fréquentation corollaire de la diffusion du télétravail complique encore l’équation. Dès lors, motivés par les potentielles retombées positives sur leur activité, les preneurs sont désormais nombreux à se challenger pour améliorer la performance énergétique de leur bâtiment.

Et l’argument économique n’est pas le seul : l’impulsion vers des bâtiments dits « bas-carbone » devient essentielle pour répondre au défi de l’attractivité des entreprises auprès de nouvelles générations de salariés. Selon l’Ifop, en 2023, plus de 90% des 18-35 ans considèrent comme primordial ou important dans la décision de rejoindre une société son engagement environnemental et la qualité de ses bureaux. Par ailleurs, 62 % considèrent que cet engagement environnemental passe par l’amélioration de la performance énergétique des bureaux.

Ces tendances sociétales se retrouvent au plan règlementaire, avec le déploiement de plusieurs obligations légales environnementales, ayant toutes pour mot d’ordre la sobriété énergétique. Le gouvernement se mobilise pour répondre à l’urgence climatique : le Ministère de la Transition Ecologique souligne 4 orientations stratégiques adaptées aux bâtiments tertiaires et met en place des dispositifs pour accélérer l’atteinte de ces objectifs.  Parmi eux, le Plan de sobriété énergétique proposant aux partie prenantes des mesures simples à mettre en place sur le court terme. Et le Décret Tertiaire vient compléter ce plan, en privilégiant une approche holistique de l’efficacité énergétique, avec en ligne de mire une réduction progressive de la consommation d’énergie des bâtiments vers une réduction de 40% d’ici 20303.

 

Le bouquet des actions « quick-wins » et les collaborateurs en première ligne

Face à la conjoncture actuelle, les utilisateurs s’adaptent et attribuent à la maintenance du bâtiment une place plus centrale que jamais dans leurs préoccupations. En effet, de multiples mesures rapides à mettre en place et offrant des résultats quasi instantanés sont identifiées afin de réaliser des économies d’énergie. Réduction de l’éclairage, changement des températures de consigne de chauffage et de refroidissement, ou encore mise à l’arrêt de l’eau chaude sanitaire constituent la panoplie de ce qui devrait devenir le prochain référentiel pour chaque bureau.

Parallèlement aux efforts déployés pour encadrer les installations impactant la consommation énergétique et les émissions carbones du bâtiment, les entreprises misent sur leurs collaborateurs pour adopter un comportement éco-responsable. Les habitudes influencent directement l’empreinte carbone des lieux de travail, sensibiliser aux éco gestes se révèle donc primordial pour s’affranchir des lieux communs et converger durablement vers les objectifs de sobriété énergétique.

 

GTB, occupation et data : les pièces souvent manquantes du puzzle

A la croisée des rénovations lourdes et des quick-wins se trouve la gestion précise du bâtiment, un levier permettant d’optimiser l’ensemble des initiatives mises en place. Cette pratique repose sur le recueil et l’articulation du maximum de données issues du bâtiment, dont à minima :   

  • Les données provenant du système d’automatisation et de contrôle GTB utilisé pour piloter le chauffage, la ventilation, la climatisation et l’éclairage des sites, grâce à une chaine de valeur comprenant capteurs, actionneurs et régulateurs ;
  • Les données relatives aux tendances d’occupation du bâtiment ;

Grâce à ces données, les champs d’application sont multiples. Le suivi régulier de la consommation du bâtiment et la recherche de gisements d’économies potentielles deviennent accessibles. Les anomalies de fonctionnement peuvent également être plus rapidement détectées et solutionnées par des outils d’IA. De fait, les utilisateurs peuvent orchestrer finement les mesures nécessaires pour réduire les coûts et l’utilisation des ressources spatiales, servicielles et énergétiques.

Concaténées, les données fournies par ces outils permettent également la projection dans différents scénarii très personnalisés : quelles sont les économies réalisées si l’on ferme le restaurant d’entreprise le vendredi ? devons-nous réfléchir sur la densité de nos bureaux ? et si le télé travail devient obligatoire un jour par semaine ? … autant de questionnements qui ne restent plus sans réponses. Les exploitants peuvent alors repenser l’organisation du travail au sein de leurs bureaux et ajuster l’offre d’espaces et de services au plus près de l’utilisation réelle de leur bâtiment, un axe majeur pour réaliser des économies et obtenir un ratio coût/qualité du lieu de travail satisfaisant.        

Néanmoins pour l’instant, seulement 6% du parc tertiaire est équipé d’une GTB en France, et 70% des GTB seraient mal exploitées en raison d’un manque de compétence ou de moyens humains. Le décret BACS qui vise à développer un plan complet de montée en compétence des métiers de la GTB et du commissionnement devrait résoudre ce manquement à l’horizon 2030, généralisant le recours à cet outil. Pour ce qui relève de la maitrise de l’occupation dynamique du bâtiment, les capteurs de comptage et de présence s’imposent comme les technologies favorites sur le marché en promettant une gestion fluidifiée du flex office. Déjà éprouvés par la BPCE et la Société Générale, ces appareils n’ont cependant pas encore conquis la confiance de l’ensemble des utilisateurs.

Par ailleurs, bien que l’utilisation de la data soit communément reconnue comme nouvel incontournable, collecter des données qualitatives et s’ouvrir au smart building est un véritable défi. La disparité des solutions, leur manque d’interopérabilité et les problématiques de cybersécurité sont des enjeux qui nécessitent d’être maturés pour pleinement tirer profit des outils et généraliser la digitalisation de la fonction immobilière.

 

Un atout-séduction sollicité par les utilisateurs à surveiller

Auparavant plutôt réservé aux gestionnaires techniques et quelques professionnels passionnés, l’intérêt pour la maîtrise des bâtiments s’est véritablement démocratisée. Dans cette discipline, les entreprises locataires qui voient leurs coûts d’exploitation grimper sont en première ligne pour donner l’impulsion au reste des acteurs du secteur immobilier. En effet, de plus en plus d’utilisateurs participent - et vont même se positionner comme initiateurs - à la mise en œuvre des mesures visant à réduire les dépenses énergétiques et leurs coûts associés. La maitrise des émissions carbone et de l’énergie sont les premiers enjeux ESG exprimés par les acteurs immobiliers selon le Baromètre 2023 de l’OID.

Dans cette optique, la question des modalités d’application de telles mesures rejoint les nombreux sujets animant déjà les discussions entre les preneurs et les bailleurs. Les locataires deviennent attentifs concernant la disponibilité dans les bureaux loués de certains systèmes et équipements qui leur permettraient d’atteindre des objectifs de sobriété. Mais ces ambitions peuvent s’avérer refreinées par leur poids financier : à qui doit revenir la charge de ces investissements ? Les dépenses requises ne sont pas neutres : on estime le coût d’un audit énergétique de grand bâtiment tertiaire à près de 100 000€, tandis que les coûts d’automatisation vers un bâtiment intelligent peuvent atteindre jusqu’à 50€/m². Au-delà du prix, la définition et répartition des rôles de chacun est également à anticiper. Les actions théoriquement simples à concrétiser, comme un changement de température, sont parfois mise à l’épreuve par le cadre contractuel et la difficulté à se coordonner avec tous les acteurs impliqués dans la gestion du bâtiment.

Pour rester attractif, les propriétaires font ainsi face au défi de l’affirmation d’une nouvelle feuille de route, plus verte. Il est dans leur intérêt de veiller à réaliser un arbitrage pertinent vis-à-vis de ces considérations, au risque de voir les exploitants délaisser les actifs qui ne rimeraient pas avec sobriété énergétique et décarbonation.  Il s’agit donc de parvenir à se positionner de sorte que la satisfaction de ces nouveaux critères de sélection devienne une charge trop conséquente à assumer pour les exploitants souhaitant s’engager dans une telle démarche. Le ton de l’immobilier tertiaire semble être donné pour les prochaines années !

1 CCI Paris Ile de France. (2023, 15/02/23). Enquête sur l’impact de la hausse des coûts de l’énergie sur l’activité des entreprises franciliennes. https://www.cci-paris-idf.fr/sites/default/files/2023-02/enqu%C3%AAte-couts-energie-fev2023.pdf

2 Foatelli,A. (2023, 24/10/23). En hausse de 9,4%, le coût d’un poste de travail atteint 13 600 euros. Republik Workplace. https://www.republik-workplace.fr/strategies/environnement-travail/pratiques/en-hausse-de-9-4-le-cout-d-un-poste-de-travail-atteint-13-600-euros.html

3 Plan Bâtiment Durable, ADEME, IFPEB, OID (2023). Accélérer et pérenniser la sobriété énergétique des bâtiments tertiaires. Accélérer et pérenniser la sobriété énergétique des bâtiments tertiaires : le rapport complet enfin disponible ! | Plan Bâtiment Durable (developpement-durable.gouv.fr)

 

Rédacteur : Aurélia MONTEIRO, Senior Consultant

Signataire : Claire GUEYDAN-O’QUIN, Associée