Volatilité des prix de l’énergie : un risque majeur à adresser

Le 06 novembre 2023 |
345 euros mégawatheure (MWh) de gaz en août 2022, contre 29 euros en juin 2021. 1000 euros le mégawatheure d’électricité contre 85 euros moins d’un an plus tôt. C’est peu dire que les récentes fluctuations des prix de l’énergie ont constitué un défi majeur pour les énergéticiens comme pour les entreprises françaises et européennes notamment les énergo-intensifs. Dans un monde devenu extrêmement mouvant, dirigeants et administrateurs ont clairement intérêt à adresser un sujet désormais stratégique : les risques financiers liés à la volatilité des prix de l’énergie.

Décision de la Russie de réduire ses importations de gaz en Europe, déclenchement de la guerre en Ukraine, demande adressée aux états membres de l’Union européenne de maintenir des niveaux minimums de réserve, fermeture du gazoduc Nord Stream… Les fluctuations historiques des cours du gaz sont la conséquence d’un enchaînement d’événements, dont certains remontent à avant même l’invasion de l’Ukraine. Après un sommet à plus de 345 euros le mégawatheure en août 2022, la forte disponibilité du gaz naturel liquéfié (GNL) finira toutefois par conduire à une baisse la demande, jusqu’à faire chuter les prix sous les 80 euros en décembre 2022.

Quant à la hausse des prix de l’électricité en France, elle est notamment imputable à une plus faible production d’électricité de la part d'EDF (dont la production nucléaire n’a atteint que 70 % de la moyenne des vingt dernières années) cumulée à une baisse de la production hydroélectrique en Europe. Si la production d’énergies renouvelables a permis de compenser partiellement ce déficit, la décision du parlement français de demander à EDF de sourcer 20 térawattheures supplémentaires a exacerbé la situation, incitant les spéculateurs à vendre l'énergie à l’entreprise publique à des prix élevés.

Impact sur les marges et les trésoreries

Cette volatilité historique a eu pour effet de fragiliser le modèle financier de nombreuses organisations. La flambée des prix du mégawatheure se répercute d’abord logiquement sur les coûts opérationnels. Pour les énergéticiens comme les industriels particulièrement consommateurs d’énergie (métallurgie, sidérurgie, transports, etc.), ces fluctuations peuvent dangereusement impacter les marges, allant jusqu’à mettre en péril la pérennité de l'entreprise, à moyen et long terme. La situation a ainsi conduit à la faillite de plusieurs énergéticiens européens, à l’image de Bulb Energy au Royaume-Uni, qui desservait 1,7 million de clients, et plusieurs fournisseurs allemands cumulant jusqu'à 300 000 clients.

La trésorerie des entreprises se trouve également fortement affectée. L’augmentation imprévue des coûts énergétiques peut générer des décaissements immédiats pour l’entreprise, lorsque les contrats souscrits sont soumis à des appels de marge, créant potentiellement des tensions sur sa liquidité. Dans un environnement où la confiance des investisseurs et des créanciers est cruciale, cette instabilité peut également limiter l'accès aux financements externes et augmenter le coût de ces derniers.

Cartographie, gouvernance et gestion du risque 

Parce qu’une gestion proactive des risques est indispensable pour naviguer dans cette période d'incertitude et limiter les impacts sur la rentabilité et la trésorerie des entreprises, la situation accroit encore la nécessité de déployer une gestion robuste des risques financiers.

Toute gestion du risque s’appuie d’abord sur l’identification dudit risque. Les risques de change et de taux sont déjà bien connus des entreprises et ceux-ci sont généralement identifiés et cartographiés. À la manière de ces risques, ceux liés à l’évolution des prix de l’énergie doivent être précisément cartographiés également. L’entreprise doit recenser l’ensemble de ses contrats d’approvisionnement en électricité et gaz ainsi que leurs conditions et c’est à la lumière de ce travail d’identification qu’elle peut mesurer puis couvrir son risque.

La mesure du risque peut s’appuyer sur de indicateurs quantitatifs comme la position, le Mark-to-Market ou encore la Value at Risk - l’indicateur privilégié pour quantifier le niveau de risque d’un ensemble de contrats (physiques et dérivés). L’entreprise peut tester la sensibilité de ces indicateurs à une variation du prix de l’énergie de 5%, 10% ou plus selon les scénarios envisagés et ainsi apprécier les impacts potentiels sur sa marge opérationnelle.

Pour se couvrir, les entreprises peuvent utiliser des instruments dérivés permettant d’échanger un prix variable contre un prix fixe sur une période donnée, les plus courants étant des swaps ou négocier des options de fixation temporaire du prix dans leurs contrats d’approvisionnement (« contrat à click »). Les Corporate PPA (contrat d’achat d’électricité liant directement producteur et consommateur), virtuels ou physiques, qui connaissent un regain d’intérêt avec le développement des fermes d’énergie renouvelable, sont une autre option valable pour l’entreprise qui souhaite couvrir son approvisionnement en électricité tout en agissant sur son scope ESG, à travers l’obtention des certificats de garantie d’origine de l’électron.

Des risques à adresser sans tarder

La gouvernance du risque est un mécanisme structuré qui balise les processus et le flux d'informations sur le risque au sein d'une entreprise. Ce cadre organise non seulement la remontée des données (via divers comités et rencontres régulières avec les dirigeants et les équipes opérationnelles), mais également la prise de décisions stratégiques. Si le suivi quotidien du risque financier est traditionnellement orchestré par les équipes middle office de la Trésorerie, la gouvernance du risque dépendra de la taille de l’organisation : dans les PME la gestion du risque est une préoccupation de la direction générale, mais dans les grands groupes, ces questions sont généralement du ressort du directeur financement et trésorerie, du directeur financier et ou du comité d’audit.

Reste que de manière globale, les risques de volatilité accroissent la nécessité pour les instances dirigeantes de l’entreprise d’être sensibilisées, voire régulièrement informées, des enjeux liés à la gestion des risques. Les administrateurs indépendants ne cachent plus leur intérêt pour vérifier la correcte appréciation de ce risque énergie dans le cadre de leur mandat.

La suite logique de cet effort est l’adoption d’outils de gestion des risques précisément adaptés aux enjeux de l’entreprise – par exemple des systèmes de gestion de la trésorerie (TMS) ou des plateformes de gestion des risques liés à l’énergie (ETRM). Facilitant l'alignement entre les départements Finance, Métiers et Achats, ces outils offrent une visibilité en temps réel sur divers indicateurs de risque, pour une gestion plus précise des fluctuations du marché, avec des stratégies de couverture performantes, minimisant ainsi l'exposition à la volatilité.

Et vous, y avez-vous pensé ?

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