Vers une standardisation des opérations de M&A sans GAP

Le 8 juillet 2019 |
Article rédigé en collaboration avec Christophe Joffe, avocat associé, Joffe et Associés
Lors de opérations de Fusions & Acquisition Small & MidCap, le recours à la garantie d’actif et de passif (GAP), élément de l’acte de vente qui permet de délimiter les garanties accordées à l’acquéreur par le cédant, est désormais de moins en moins systématique. Quels sont aujourd’hui les enjeux liés à la préparation d’une opération de M&A ? Pourquoi le recours à une GAP n’est plus aussi automatique ? Comment sont anticipés les process de cession ? Comment les vendeurs sont-ils impliqués ?

1. La bonne préparation d’un dossier à la vente est aujourd’hui primordiale

Les enjeux sont variés :

  •  timing : en lien avec des facteurs endogènes (clôture comptable, signature ou renouvellement de contrats significatifs) et exogènes (tendance du marché, activités et appétit M&A, etc.) ;
  • stratégie d’approche des acquéreurs potentiels : pré-teasing des industriels, coffee-meetings entre fonds et dirigeants, etc. ;
  • préparation de VDD (vendor due diligences1) très ciblées sur certains points clés (environnement, réglementaire) ou larges (financière, juridique, sociale, fiscale, commerciale et stratégique).

Mais ils ont tous le même objectif : optimiser les conditions de l’opération, le prix de cession et les éventuelles garanties octroyées à l’acquéreur par le cédant.

2. La fameuse garantie d’actif et de passif (GAP)

La GAP permet la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation de l’acquéreur par le vendeur – le plus souvent par réduction de prix – pour tous les événements a priori non connus au moment de l’opération et dont le fait générateur antérieur à l’acquisition a pour conséquence la diminution de l’actif ou l’augmentation de certains éléments du passif.

Concrètement, le vendeur s’engage sur un certain nombre de déclarations (état des lieux de sa société) et engage sa responsabilité sur ses affirmations et sur l’étendue de cette dernière (par exemple en s’engageant sur des valeurs économiques de certains postes du bilan).

Il convient ensuite d’encadrer ces éléments dans des modalités pratiques de déclenchement de la GAP (seuil, franchise, plafond, durée, dégressivité, etc.) et dans sa mise en œuvre (engagements financiers notamment, pour couvrir les éventuels risques : séquestres, garanties bancaires…).

Ces négociations souvent laborieuses peuvent être sources de différents importants et rallonger les négociations, voire faire échouer l’opération si l’état des discussions ne permet pas de faire converger les positions. En effet, si les sujets concernant la GAP sont négligés dans les phases préliminaires des discussions – en accordant par exemple trop d’importance aux conditions financières – il peut devenir difficile d’aboutir à un accord.

3. Pourtant, de plus en plus d’opérations se réalisent sans recours à une GAP

A l’instar des opérations de LBO majoritaires successifs se débouclant sans GAP, les vendeurs utilisent la condition d’absence de GAP comme une condition préalable à la poursuite des discussions dès les offres indicatives, voire l’affichent dès la mise sur le marché d’une société. Idem côté industriels !

En effet, s’il était généralement admis que tout bon industriel qui se respecte négocierait une GAP lors de la reprise d’une société, les pratiques évoluent et les raisons sont multiples : « c’est une question de process et de gestion du risque interne », martèlent certains directeurs M&A ou juridiques de grands groupes pour justifier leur position lors de négociations.

4. Des process de cession de plus en plus anticipés et préparés

En amont du lancement d’un process, les conseils identifient avec le management les points potentiellement problématiques pouvant impacter le prix, le timing ou ce qui nécessiterait la couverture d’une GAP. Cela requiert de faire intervenir des conseils spécialisés pour réaliser un pré-audit sur des sujets variés tels que la finance, le social, le fiscal, le juridique, l’environnemental, le réglementaire, l’immobilier, l’assurance, le commercial, l’IT ou encore la propriété intellectuelle. A l’issue de ces pré-audits, des actions correctrices peuvent être mises en œuvre afin de faire disparaître le risque ou de le quantifier et de le circonscrire en termes de montant et d’impact sur la société. Des rapports complets de VDD sont ensuite émis à destination des acquéreurs pour simplifier leur démarche d’audit d’acquisition et donner de la sincérité dans l’analyse des risques liés à l’acquisition. Cela permet de réduire fortement l’asymétrie d’information entre cédants et acquéreurs et d’installer un climat de confiance dans les négociations. L’autre avantage connexe de la production de telles analyses est le gain de temps dans la phase de data room, libérant de ce fait du temps management et limitant les dérives en termes de calendrier de réalisation de l’opération.

5. Des contrôles plus fréquents

La plupart des secteurs sont plus contrôlés et réglementés avec des tiers et les services de l’Etat plus vigilants. Il est maintenant assez classique qu’une société soit régulièrement contrôlée d’un point de vue fiscal, Urssaf, Dreac, Drire, ce qui lui permet de faire évoluer ses process internes de manière à limiter les risques de redressement ou de mise en demeure.

De plus, lorsqu’une société possède une base client composée de grands groupes, ces derniers réalisent de plus en plus souvent des audits fournisseurs assez complets. Les conclusions des inspections réalisées par les différents services de l’Etat et les conclusions des audits clients peuvent aussi être utilisées dans la phase de diligences et communiquées aux acquéreurs pour les informer des bonnes pratiques mises en œuvre par la société et l’absence de risques.

Enfin, les certifications ISO (avec un champ des possibles très varié) sont également des atouts pour démontrer la qualité des process internes permettant de réduire les risques potentiels aux yeux de l’acquéreur.

6. Une concurrence accrue

Si les industriels ont souvent bénéficié d’une prime dans les valorisations des sociétés, l’écart entre un acquéreur industriel et un fonds d’investissement s’est fortement réduit. En effet, la masse de liquidité importante à disposition des acquéreurs financiers et la capacité de structurer des financements d’acquisition sur mesure dans un environnement de taux bas permettent aux acquéreurs financiers de converger vers les multiples de valorisation proposés par les industriels.

De ce fait, ces derniers font face à une concurrence accrue et doivent dans certains cas revenir sur certains éléments, pourtant ancrés comme des pratiques de marchés incontournables et notamment la demande systématique d’une GAP.

7. Un actionnariat plus « professionnel »

Aujourd’hui, il est courant de trouver au capital de PME et d’ETI bon nombre d’actionnaires financiers minoritaires : acteurs régionaux, filiale de banque ou fonds spécialisés entrés au capital lors d’une réorganisation familiale de l’actionnariat, financement d’une acquisition…

Ces actionnaires minoritaires « professionnels », ont la plupart du temps réalisé des audits au moment de leur entrée au capital, proposé ou mis en place des process plus structurés mais également apporté une caution de bonne et saine gestion de la société. Encore une fois, autant d’éléments permettant à l’acquéreur de se convaincre de l’absence de risques importants.

8. Quelle implication des vendeurs ?

De plus en plus, les déclarations et garanties sont limitées à la bonne détention des titres et à l’absence de possibilité d’opposition à la cession par des tiers.

A cela s’ajoute encore assez fréquemment une garantie des comptes, qui si elle semble ressembler à une garantie très large devient en réalité une garantie sur la sincérité des comptes et non sur leur exactitude.

Or, l’insincérité des comptes induit le plus souvent que les vendeurs aient délibérément omis d’apporter le soin nécessaire à l’établissement des comptes, voire qu’ils aient « oublié » de porter à la connaissance de leur commissaire aux comptes – dont le rapport établit précisément que les comptes « donnent une image sincère et fidèle » de l’activité – des informations qui les auraient conduits à délivrer des conclusions différentes.

Il en découle un glissement vers une responsabilité relevant plus du droit commun que d’une GAP traditionnelle, en ce sens que sa mise en jeu suppose de démontrer la connaissance, voire les agissements de vendeurs, ce qui se rapproche significativement du dol, qui n’est autre que la garantie du droit commun lié à toute cession.

Et dans ces conditions, pourquoi ne pas se limiter à cette garantie de droit commun ? Voilà ce que se disent de plus en plus d’acquéreurs, bien qu’il présente, certes, l’inconvénient de démontrer la « mauvaise foi » des vendeurs, mais aussi l’avantage de ne comporter ni franchise, ni plafond, ni durée (autre que celle d’agir dans un certain délai après la découverte des faits en cause). Et ce sont très souvent ces sujets qui sont les plus âprement négociés, voire qui peuvent empêcher la réalisation d’un deal.

Cependant, restent très souvent des risques résiduels découverts dans le cadre des audits, qui sont couverts par l’octroi de garanties spécifiques très encadrées dans le temps et dans les montants que le vendeur pourrait être amené à supporter.

La GAP « voiture-balai » qui couvre de manière exhaustive tous les sujets et enjeux d’une société est ainsi évitée. De même que le processus de négociation est accéléré, conférant au candidat acquéreur adoptant cette position de principe un avantage concurrentiel évident, au-delà d’un message toujours positif adressé au vendeur : « Vous me garantissez que vous êtes de bonne foi » (principe d’ailleurs récemment consacré par la loi) !

1 Audit de cession préparé par un tiers indépendant à la demande des cédants et destiné à être communiqué aux acquéreurs

Article paru dans Option Finance

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