La transformation numérique de l’action sociale face à la fracture numérique

Le 19 mai 2022 |
L’action sociale n’échappe pas à la fracture numérique, phénomène désignant les inégalités d’accès et d’utilisation des outils informatiques entre les citoyens. Selon le Défenseur des droits, le nombre de Français ayant des difficultés avec le numérique est estimé à 13 millions. C’est la raison pour laquelle cette autorité administrative s’est intéressée, dans ses deux rapports successifs, à l’impact de la dématérialisation sur l’accès aux services publics. Dans ce contexte, quelles sont les orientations possibles pour la transformation de l’action sociale ?

Les bénéficiaires de prestations sociales sont particulièrement concernés par la fracture numérique

La fracture numérique s’explique d’abord par un critère géographique, la couverture du territoire en réseaux étant inégale. Pour le raccordement à la fibre, donc l’accès au très haut débit, des écarts persistent entre les zones urbaines et périurbaines qui bénéficient d’un taux de couverture proche de 80%, et les zones rurales et de montagne où ce taux est seulement de 30%1.

Il ne faut cependant pas sous-estimer d’autres facteurs, d’ailleurs cumulables par une même personne :

  • L’âge est une variable importante. Si, de prime abord, les personnes âgées semblent les plus touchées – en ce qu’elles ne seraient pas habituées à utiliser les outils informatiques, il a été observé que la réalisation de démarches administratives en ligne pose également des difficultés aux jeunes, malgré leur utilisation quotidienne de terminaux numériques. Pour preuve, en 2020, un quart des 18-24 ans a déclaré avoir rencontré des difficultés pour réaliser seul des démarches en ligne2.
  • Le handicap peut aussi être un motif de discrimination si les démarches ne sont pas adaptées. En effet, plus de 60% des sites publics restent peu accessibles des personnes en situation de handicap3.
  • D’autres publics peuvent être concernés par la fracture numérique pour des raisons plus spécifiques. Par exemple, les personnes détenues dans des établissements pénitentiaires, où  l’utilisation d’internet est proscrite.

D’autre part, les études montrent que la fracture numérique touche plus particulièrement les bénéficiaires de l’action sociale. En effet, parmi ces derniers, 40% sont non-diplômés et 22% vivent sous le seuil de pauvreté. De plus, 15% des Français n’ont pas d’accès internet fixe à domicile. Ce taux s’élève à 24% pour les ménages bénéficiaires des minima sociaux4. Le niveau de diplôme reste un facteur déterminant de l’accès à un équipement permettant la connexion à internet, en témoigne le fait que 97% des diplômés de l’enseignement supérieur sont correctement équipés, contre 66 % des non-diplômés. Cependant, cet écart n’est pas aussi prononcé si l’on se réfère au niveau de revenu. En effet, 90% des personnes ayant les plus faibles revenus ont accès à un équipement internet là où ce chiffre est porté à 94% pour les personnes aux plus hauts revenus5. Les opérateurs de l’action sociale ont pleinement pris en compte l’enjeu de l’inclusion numérique qui est désormais intégré aux conventions d’objectifs et de gestion de Pôle emploi et des caisses de Sécurité sociale.

L’adaptation des services numériques s’avère nécessaire

Afin de limiter ce phénomène d’exclusion, c’est au numérique de s’adapter en devenant plus accessible. Pour ce faire, la bonne démarche consiste à placer l’utilisateur au centre de la conception du service. Des méthodologies spécifiques, notamment l’UX design et le design thinking, ont été élaborées afin d’assurer une meilleure prise en main des outils numériques par les utilisateurs. D’une manière plus générale, les méthodologies de travail visent à garantir le respect de bonnes pratiques et de normes en matière de responsabilité et d’accessibilité. La notion de « numérique responsable » qui se développe depuis quelques années en est un exemple. Cette démarche vise à réduire volontairement l’empreinte économique, écologique, sociale et sociétale de l’ensemble des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Elle comprend donc une dimension inclusive.

Plusieurs référentiels existent afin d’améliorer les démarches de conception :

Les données sur la conformité des formulaires de la caisse d'allocations familiales (CAF) au RGAA témoignent du caractère perfectible de certains services. A ce titre, les déclarations d’accessibilité présentent un taux de conformité de 77% pour la demande de RSA et de 62,7% pour la prime d’activité6.

Pour atteindre cet objectif, plusieurs leviers sont disponibles :

  • Des applications capables de fonctionner en bas débit, limitant les difficultés de connexion ;
  • Des démarches simples à effectuer, grâce à des formulaires plus intuitifs, facilement compréhensibles et complétés par des guides pour les utilisateurs ;
  • Une ergonomie adaptée, permettant l’utilisation par des personnes en situation de handicap.

Les prestations sociales ne peuvent pas reposer uniquement sur un canal numérique

Au-delà de l’adaptation des solutions numériques, une approche multicanal, avec des accueils téléphoniques et/ou physiques, doit permettre de garantir l’accès des usagers aux services. Comme le souligne le rapport du Défenseur des droits, un service ne peut pas reposer uniquement sur un canal numérique. Il est en particulier important que les usagers puissent disposer d’un autre moyen pour contacter l’administration, téléphone ou guichet, lorsque cela se justifie. C’est dans cette logique qu’ont été et que continuent d’être déployés les dispositifs « France Services » (anciennement « Maisons France Services »), des points d’accueil permettant aux usagers de se renseigner et d’être accompagnés dans la réalisation de leurs démarches en ligne. Un rapport de la Cour des comptes souligne que cette mutualisation des structures d’accueil a permis aux organismes relevant de la Sécurité sociale de compléter et d’optimiser l’offre d’accueil physique7.

A l’échelle locale, de nombreuses initiatives ont pour objectif de permettre l’accès à internet à travers la mise à disposition, avec ou sans accompagnement, d’ordinateurs ou de bornes dans des lieux publics (mairies, bibliothèques, etc.). Cela constitue une alternative pour les usagers ne disposant pas d’équipement internet ou d’une connexion suffisante. Il peut également être pertinent que certaines informations (attributions ou refus d’aides par exemple) ne soient pas communiquées uniquement numériquement par e-mail, mais aussi par courrier.

Enfin, les travailleurs sociaux ont un rôle à jouer dans l’accompagnement des usagers réalisant leurs démarches administratives. Dans une enquête du CREDOC, les personnes interrogées indiquant avoir fait appel à une aide extérieure pour réaliser une démarche en ligne ont, dans 15% des cas, sollicité un travailleur social8.

Par conséquent, les enjeux de la transformation numérique de l’action sociale invitent à s’interroger sur les attentes des usagers et leur capacité à s’adapter à ces nouvelles modalités de fonctionnement. En effet, la fracture numérique peut être une cause de non-recours aux prestations sociales, effet indésirable de la modernisation des services.

1 Défenseurs des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, février 2022.

2 CREDOC, Baromètres du numérique, édition 2021.

3 Défenseurs des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, février 2022.

4 BERHUET Solen, CROUTTE Patricia et DATSENKO Radmila, « Améliorer la connaissance et le suivi de la pauvreté et de l’exclusion sociale », Rapport pour l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), CREDOC, novembre 2021.

5 CREDOC, Baromètres du numérique, édition 2021.

6 « Nos déclarations d’accessibilité numérique », site de la CAF, consulté le 5 mai 2022.

7 Cour des comptes, L’accès aux services publics dans les territoires ruraux, mars 2019.

8 BERHUET Solen, CROUTTE Patricia et DATSENKO Radmila, « Améliorer la connaissance et le suivi de la pauvreté et de l’exclusion sociale », Rapport pour l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), CREDOC, novembre 2021.

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