Quel impact du numérique sur le non-recours aux prestations sociales ?

Le 23 mai 2022 |
L’action sociale est confrontée à la question du non-recours aux prestations, c’est-à-dire à l’absence de demande d’une aide, en principe financière, par des usagers qui y sont pourtant éligibles. Au vu des constats dressés par le Défenseur des droits, la question de l’impact du numérique sur le non-recours aux prestations sociales se pose.

Le numérique, un frein supplémentaire pour le recours aux droits ?

La réduction du phénomène de non-recours est unaxe à part entière de la lutte contre la pauvreté. Pour autant, l’ampleur de ce phénomène d’absence de demande est complexe à mesurer, et les observations montrent qu’il est très variable d’une prestation sociale à une autre. Par exemple, pour le RSA, le taux de non-recours est évalué à 36%1. Ce dernier peut avoir pour origine des causes multiples2 :

  • les freins individuels ;
  • le contexte sociétal ;
  • le design de la prestation ;
  • l’organisation administrative.

Tout d’abord, la transformation numérique modifie à la fois le design de la prestation et son organisation administrative. Son impact sur le non-recours aux droits peut donc être interrogé.

De plus, une démarche à réaliser en ligne peut constituer une barrière désincitative pour certains usagers et, en conséquence, accroître le non-recours aux prestations sociales. En effet, ils n’ont parfois pas connaissance de la procédure ou n’ont la possibilité de la réaliser (pas d’équipement ou pas de connexion internet par exemple). Quant à ceux qui entament la démarche, il est possible qu’ils ne la terminent pas, soit parce qu’ils n’y parviennent pas, ou par crainte de se tromper. Pour preuve, 21% des usagers ont déjà connu un échec total dans la réalisation d’une démarche en ligne3.

Cependant, sans contact avec l’administration, difficile pour l’usager d’avoir accès à la liste exhaustive des dispositifs d’aides auxquels il peut prétendre. En somme, le passage par un canal numérique implique de la part de l’usager qu’il effectue lui-même une recherche pour se renseigner. Ce changement fait reposer sur lui, plutôt que sur l’administration, la responsabilité d’analyser sa situation et d’identifier les dispositifs auxquels il est éligible. Cela peut s’avérer complexe pour des personnes en difficulté avec le numérique ou dont les situations sont spécifiques.

De plus, si l’usager se base sur les simulateurs à disposition en ligne, les résultats peuvent être faussés puisque ces outils, bien que très utiles, ne sont pas toujours en capacité de prendre en compte la complexité des situations. Faute de contact humain ou de capacité à se connecter à son espace personnel, l’usager peut manquer d’informations sur la prise en charge de sa demande. Cela peut avoir pour effet de multiplier les contacts – physiques ou téléphoniques – auprès de l’administration donc d’engorger les services en charge de la relation avec les usagers.

Des services numériques optimisés pour faciliter l’accès aux prestations sociales

La tendance s’est inversée. Ce n’est plus à l’usager d’aller vers l’administration, c’est à l’administration de venir à lui. A cette fin, le numérique constitue donc une aide en soi, l’usager n’ayant pas à se déplacer au guichet.

Pour autant, les opportunités qu’offre le numérique pour réduire le non-recours aux prestations sociales sont, bien entendu, plus vastes. Une première possibilité est le regroupement de données en interne – au sein d’une administration et entre administrations – afin d’obtenir une vision complète de la situation de l’usager. Avec ces informations, il est possible de verser directement à la personne l’aide financière à laquelle elle a droit, ou encore de la contacter pour l’inciter à effectuer une demande et l’assister dans sa démarche. Ce système d’attribution et de versements automatiques est d’ailleurs déjà appliqué en France, entre autres pour la distribution des chèques énergie et récemment pour le versement de la prime inflation.

Un autre exemple d’usage possible du numérique est ladétection automatique des demandes non finalisées afin de prendre contact avec les usagers concernés et les aider, si nécessaire, à finaliser leur dossier. Cela peut être fait très facilement à partir d’une solution de traitement de dossiers.

Des garde-fous à mettre en place pour garantir la juste utilisation de données personnelles ?

Il semble judicieux de mener une réflexion avant de mettre en place des systèmes de partage de données et d’automatisation des versements d’aides financières. Dans certains cas, il peut être justifié d’attendre de l’usager qu’il s’adresse à un opérateur pour bénéficier d’une aide. Les travailleurs sociaux mettent également en avant leur rôle d’appréciation au cas par cas des situations pour déterminer les solutions les plus adaptées.

Un versement automatique des aidespeut aussi être jugé intrusif. En effet, 27% des internautes et 11% des non-internautes considèrent que la protection des données personnelles est un frein à l’usage d’internet4.

A l’instar des mesures instaurées par le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), une bonne pratique pourrait être d’informer les usagers au préalable du traitement potentiel de leurs données personnelles par les administrations.

La réussite de la transformation numérique passe donc par le développement de services favorisant l’accès aux droits pour lutter contre le phénomène de non-recours aux prestations sociales. Cela constitue une troisième condition à la transformation des outils numériques – aux côtés de l’adaptation des pratiques métiers et de la réduction de la fracture numérique. En effet, l’inclusivité et l’accessibilité sont des facteurs clés soulignés par le Défenseur des droits dans son rapport. Si ces questions sont aujourd’hui identifiées et que les solutions existent, il reste à l’ensemble des acteurs – administrations comme prestataires de services numériques – à mettre en œuvre les bonnes pratiques.

1BIÉMOURET Gisèle, COSTES Jean-Louis, « Rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux », Rapport d’information, Assemblée nationale, 26 octobre 2016.

2Eurofound, building on Van Oorschot (1995).

3BERHUET Solen, CROUTTE Patricia et DATSENKO Radmila, « Améliorer la connaissance et le suivi de la pauvreté et de l’exclusion sociale », Rapport pour l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), CREDOC, novembre 2021.

4CREDOC, Baromètre du numérique, édition 2021.

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