La transformation numérique de l’action sociale : quels enjeux ?

Le 16 mai 2022 |
Au cours des 12 derniers mois, 80% des Français ont effectué au moins une démarche administrative en ligne : preuve du succès de la dématérialisation des services publics. Toutefois, le rapport du Défenseur des Droits publié en février 2022 met en évidence les limites de cette dernière, notamment pour les usagers les plus démunis. Les opérateurs de l’action sociale, directement concernés par ce constat, le sont d’autant plus que la transformation numérique de certains d’entre eux est encore inachevée. Dans ce contexte, comment l’action sociale peut-elle à la fois se moderniser et tirer parti des bénéfices du numérique, sans éloigner davantage les plus démunis des services publics ?

Une dématérialisation progressive des principales démarches administratives

Depuis plus de 20 ans, la transformation numérique des services publics améliore lequotidien des citoyenset fait évoluer leur relation avec les administrations. En France, les premières démarches administratives dématérialisées apparaissent au début des années 2000, avec la mise en place par la CNAF (Caisse Nationale d’Allocations Familiales) du formulaire en ligne pour les demandes d’aide au logement, ou encore la possibilité de payer ses impôts en ligne.

Cependant, et bien que l’impact de cette transformation soit désormais réel et perceptible par tous les citoyens, le sujet n’a jamais été autant d’actualité. En effet, le gouvernement s’est donné l’objectif de dématérialiser complètement les 241 principales démarches administratives pour 2022 – ce qui est déjà le cas pour 203 d’entre elles. Parmi ces 241 démarches, 18 peuvent être considérées comme relevant de l’action sociale : pour l’heure, 16 d’entre elles sont réalisables intégralement en ligne1.

Transformer l’action sociale en tenant compte de ses spécificités 

C’est dans ce contexte que le Défenseur des Droits a récemment publié un rapport sur la dématérialisation des services publics. Ce rapport analyse les impacts pour les usagers de la dématérialisation des démarches et dresse un état des lieux de la prise en compte des recommandations formulées dans un premier rapport sur le sujet datant de 2019. Il en ressort en particulier que, si le développement du numérique a contribué à simplifier l’accès aux services publics d’une majorité de Français, il n’en reste pas moins un facteur d’éloignement, voire d’exclusion, pour les publics les plus fragiles.

C’est la raison pour laquelle la transformation numérique de l’action sociale mérite spécifiquement d’être questionnée. Elle est comprise ici de manière large, en englobant les politiques d’insertion, d’aide au logement, d’accompagnement et de prévention sociale, mais aussi les politiques en faveur des personnes âgées ou en situation de handicap. Si les nombreuses observations concernant la transformation numérique sont bien entendu valables pour l’ensemble des politiques publiques, l’enjeu revêt un caractère tout particulier pour le champ de l’action sociale : tout d’abord compte tenu de la nature sensible des missions exercées et du public adressé, à savoir les personnes les plus vulnérables, mais également du fait de la complexité et de l’imbrication des dispositifs contribuant à les mettre en œuvre (quantité et diversité des acteurs – publics, parapublics et associatifs, notamment). En effet, l’action sociale nécessite de faire intervenir et de coordonner des acteurs aussi variés que des services de l’Etat, des opérateurs nationaux (CNAF, Pôle Emploi), des collectivités territoriales (villes, métropoles et départements) et des organismes locaux de la sécurité sociale (CAF, CARSAT, MSA). Et ce, sans oublier le tissu associatif qui relaie et déploie au plus près du terrain de nombreuses politiques de solidarité.

Profiter au maximum des nombreuses opportunités offertes par le numérique 

Le premier enjeu lié à la transformation numérique des administrations en charge de l’action sociale est de réussir à tirer un maximum parti des opportunités qu’apporte le numérique. Ce dernier permet effectivement d’améliorer la relation avec les usagers et le service rendu par plusieurs biais :

  • En mettant à la disposition des usagers descanaux supplémentaires pour contacter l’administration, pour s’informer sur les aides, les accompagnements et les structures d’accueil possibles ou pour suivre leurs dossiers ;
  • En simplifiant les démarcheset diminuant le nombre d’informations et pièces demandées aux usagers. Cette simplification est rendue possible grâce au partage de données au sein d’une même administration voire entre administrations, conformément à la logique du guichet « Dites-le-nous une fois » portée par la Dinum (Direction Interministérielle du Numérique) ; 
  • En facilitant la mise en relation entre administrations afin d’assurer la transversalité nécessaire à une démarche globale et cohérente sur le traitement des situations des bénéficiaires. C’est précisément l’objectif de la plateforme A+, créée par la startup d’Etat du même nom. Cette dernière met en relation des services d’administrations différentes dans le but de résoudre des situations de blocage à la suite d’une sollicitation par un travailleur social ;
  • En constituant un dossier usager complet regroupant l’ensemble des informations accessibles des agents de l’administration, notamment l’intégralité des demandes effectuées et aides dont l’usager bénéficie ;
  • En rendant possible le déploiement rapide des services à destination des usagers pour faire face à de nouvelles situations, par exemple un nouveau dispositif d’aide mis en place dans le cadre de la crise sanitaire, telle que l’aide exceptionnelle de solidarité.

Derrière la transformation numérique, une transformation plus globale et profonde

La mise en œuvre de la transformation numérique demande un effort qui ne doit pas être sous-estimé. Amorcée, mais encore inégalement achevée selon les services publics, elle nécessite des investissements importants, des compétences spécifiques en interne, ainsi que des changements organisationnels et culturels parfois bien plus exigeants à porter pour les équipes que le simple déploiement d’un nouvel outil. Par ailleurs, les technologies évoluant rapidement, les administrations doivent être en mesure de se mettre régulièrement à niveau.

Concrètement, à titre d’exemple, le déploiement d’un outil pour assurer la relation usager (dossier usager et suivi des échanges) nécessite un changement culturel car les agents doivent adopter l’outil numérique comme modalité de contact supplémentaire avec les usagers. L’enjeu métier est également de simplifier les démarches afin d’en faciliter leur utilisation. Cela passe en particulier par deux moyens : la clarification des conditions de ressources et la diminution des pièces justificatives demandées.

Autre point, les gains de productivité sont souvent mis en avant comme avantage supplémentaire du numérique – un outil pouvant effectivement automatiser certaines tâches (impressions, scans, envoi d’e-mails, etc.). Toutefois les administrations ne doivent pas perdre de vue, lorsqu’elles revoient leur organisation du fait du déploiement d’un outil, que le numérique induit de nouvelles tâches à assurer. C’est entre autres le cas des besoins en paramétrage et en administration des solutions. 

En conclusion, pour tirer pleinement profit du champ des possibles offert par le numérique, les services publics doivent garder à l’esprit que cette mutation nécessite des changements d’organisation et de processus métiers profonds. Il s’agit d’un premier point clé pour réussir la transformation de l’action sociale, aux côtés de la prise en compte de la fracture numérique et de l’impact du numérique sur le non-recours aux prestations sociales.

1« L’observatoire de la qualité des démarches en ligne » (Dinum)

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