Pour atteindre les objectifs fixés par la loi Rixain, changeons l’image du pouvoir !

Le 4 janvier 2023 |
Certaines entreprises rencontrent des difficultés d’application des différentes mesures de la loi Rixain, texte visant notamment à rendre plus mixtes les instances dirigeantes des entreprises. Les objectifs fixés par la réglementation s’annoncent d’autant plus difficiles à atteindre que les organisations observent actuellement une montée en puissance du phénomène « d’opting-out »[1] , ces femmes éligibles aux fonctions exécutives qui choisissent de ne pas candidater à certains postes stratégiques. Et si l’image du pouvoir avait un rôle majeur à jouer dans son attractivité auprès des femmes ?

Les femmes sont encore tenues à l’écart du pouvoir

Le pouvoir, qu’il soit économique, politique ou domestique, a été créé par les hommes et s’est historiquement construit autour d’attributs masculins hérités d’une éducation stéréotypée : s’évertuer à être un meneur, ne laisser transparaître aucune fêlure dans l’armure, être un bon camarade et s’abstenir de tout comportement considéré comme « féminin ». Ainsi, les qualités comme la sensibilité, l’empathie ou l’écoute ont longtemps été considérées, à tort, comme incompatibles avec l’exercice du pouvoir. Or, contrairement aux idées reçues, les hommes et les femmes disposent non seulement du même niveau d’ambition, mais surtout des mêmes prédispositions au leadership, qui ne requiert pas d’être viril pour être efficace.

La conception historiquement masculine du leadership a naturellement infusé dans les pratiques des entreprises, lesquelles ont initialement été créées, elles aussi, par et pour les hommes. Malgré les années, les codes, méthodes et l’archétype du leader idéal sont restés intacts, au point de n’avoir été remis en question que relativement récemment. En matière de recrutement par exemple, la cooptation entre hommes est une pratique encore courante, notamment au sein des instances dirigeantes. Les critères d’évaluation des collaborateurs sont eux aussi restés inchangés. En effet, héritées de constructions historiques et sociales, certaines aptitudes prétendument nécessaires à l’exercice du pouvoir sont toujours survalorisées en 2022 : l’attrait pour la prise de risque, la capacité à adopter une approche offensive voire guerrière, la prise de décision solitaire, etc.

A cette inégalité de traitement qu’il faut combattre s’ajoute une culture managériale encore trop peu favorable à l’ascension professionnelle des femmes, comme le culte très français du présentéisme auquel se conforment davantage les hommes que les femmes, ou encore le manque d’inclusivité des réunions dont les études montrent l’ampleur : on accorde moins de temps de parole aux femmes et les interrompt plus fréquemment que leurs homologues masculins. Ajoutés au plafond de verre, ces exemples parmi d’autres expliquent et illustrent le paradoxe selon lequel les femmes sont sous-représentées au sein des instances dirigeantes malgré leur ambition. Au vu de l’image qu’il renvoie, comment peut-on espérer que le pouvoir puisse donner envie aux femmes de l’exercer, au point qu’elles candidatent autant que les hommes aux postes exécutifs ?

Repenser l’image du pouvoir pour le rendre plus attractif

Deux leviers pourraient contribuer à réaliser l’ambition générale de la loi Rixain, à savoir accélérer l’égalité économique et professionnelle entre les hommes et les femmes. Le premier consisterait à requalifier le pouvoir en tant que tel. Il est en effet impératif d’anéantir la figure aujourd’hui complètement dépassée du pouvoir incarné par une figure autoritaire et insensible aux besoins de ses interlocuteurs : l’écoute, l’empathie, l’humilité, la communication et la coopération sont autant d’aptitudes indispensables à tout bon dirigeant. Et il se trouve que ce sont des compétences davantage déployées par les femmes, à cause ou grâce aux injonctions genrées qu’elles subissent dès leur jeune âge.

C’est pourquoi les entreprises doivent être sensibilisées aux biais pour mieux les détruire, et s’interroger sur leurs pratiques parfois en place depuis des décennies. Par exemple – et de très importantes organisations le font désormais –, il pourrait être pertinent d’élargir les grilles d’évaluation des collaborateurs aux qualités aujourd’hui reconnues comme profitables si ce n’est indispensables au management et au leadership. En 2022, ce n’est plus aux femmes de se conformer à l’entreprise mais à cette dernière de s’adapter à elles, de la même manière qu’elle est adaptée aux hommes. Il s’agit en somme de rendre l’entreprise « bilingue ».

Par ailleurs, femmes et hommes doivent également être sensibilisés au fait qu’un leader a « aussi » une vie personnelle, des imperfections et des doutes qu’il ne saurait cacher. D’autre part, les équipes dirigeantes doivent devenir des collectifs à l’image moderne et inclusive, et non plus des boys clubs. Tout ceci rendrait les positions de pouvoir plus attractives.

Un second levier de taille pourrait faciliter la mise en œuvre de la loi Rixain : repenser la communication, pour l’heure très austère, faite de l’exercice du pouvoir. Est-il courant d’entendre un dirigeant partager le plaisir, la satisfaction et l’intérêt qu’il éprouve, à titre personnel, dans l’exercice de sa fonction ? Il est important que les hommes et femmes de pouvoir mesurent leur influence et la portée de leurs propos lorsqu’ils prennent la parole, tant en interne qu’en externe. Scrutés par une audience mixte et intergénérationnelle, les leaders doivent garder à l’esprit la responsabilité qu’ils ont, qu’ils le veuillent ou non, en tant que role models. Il ne s’agit donc plus de communiquer uniquement sur des chiffres et feuilles de route stratégiques, mais aussi de mettre en valeur ce que le pouvoir apporte de positif à celui qui le détient.

Car faire partie du top management ne signifie pas enchaîner des réunions du matin au soir sous une pression inhumaine et permanente. C’est surtout avoir la possibilité de prendre part à des débats d’idées toujours passionnants, d’intégrer des cercles stimulants, de jouir évidemment d’une grande liberté, mais aussi et surtout de servir l’intérêt général et contribuer à bâtir un monde meilleur.

En plus du plafond de verre à briser, il est donc urgent que soit repensée la façon dont le pouvoir s’exerce et dont les dirigeants l’incarnent et communiquent à son sujet. Il s’agit-là de deux impératifs pour équilibrer les instances dirigeantes et, par voie de conséquence, mettre en application la loi Rixain.

[1] Enquête de l’Observatoire de la mixité avec Bureau Veritas et Safran Réalisée par BVA du 31 janvier au 22 février 2022

Sur le même thème

Auteur