Vers un encadrement des loyers commerciaux : une fausse bonne idée ?

Le 30 janvier 2023 |
A l’instar de l’encadrement des loyers d’habitation, Martine Aubry a exprimé le souhait d’appliquer la même dynamique aux loyers commerciaux. Une des motivations de la maire de Lille est d’« éviter la spéculation sur les murs et baux commerciaux » et de « préserver la diversité des commerces de proximité » de son centre-ville[1]. Si l’objectif poursuivi peut paraître louable, l’encadrement des loyers commerciaux sera-t-il de nature à sauver les commerces de proximité dans les zones dites tendues ?

Une augmentation de la valeur des fonds de commerce au détriment de celle des murs

Si cette mesure trouve un accueil favorable auprès de municipalités, en particulier à Paris, les professionnels de l’immobilier sont plus critiques. Ils considèrent ainsi que l’on sacrifie le futur au bénéfice du présent. Ils soulignent notamment que les « grands gagnants » de cette mesure seraient les locataires en place, au mépris des bailleurs et des nouveaux entrants. En effet, ils font remarquer que l’encadrement conduirait à une augmentation de la valeur des fonds de commerce, au détriment de celle des murs, à travers la valorisation du droit au bail, dès lors que la différence entre le loyer réellement payé pour le droit d’occupation des locaux et le loyer théorique hors encadrement serait significative.

Qui succédera alors à un locataire sortant ? Un nouveau preneur qui aura la capacité de payer la valeur du fonds et donc vraisemblablement des « enseignes » si les montants sont élevés. Et s’il n’est pas certain que ces dernières répondent aux critères « politiques » de commerces dits de proximité, pour les locaux vacants, à deux signatures équivalentes, un propriétaire sera plus enclin à retenir une « grande enseigne », des marques de luxe voire des groupes étrangers de taille majeure, présentant une stabilité financière significative.

Cette politique découragera-t-elle les investisseurs ?

La volonté d’encadrer les loyers peut paraître excessive si l’on tient compte des mesures d’encadrement des loyers commerciaux permettant déjà de protéger les locataires. En effet, rappelons qu’il existe déjà la règle dite du « plafonnement » des loyers. Ce mécanisme consiste à ce que les loyers renouvelés des commerçants soient plafonnés, sauf motif dit de « déplafonnement » à la valeur locative dans la limite du loyer plafonné à la variation d’un indice publié par l’INSEE. Cette règle a d’ailleurs été renforcée par la loi PINEL du 18 juin 2014 qui prévoit une augmentation par pallier de 10% par an pour éviter un déplafonnement trop brutal, ce que les praticiens dénomment « plafonnement du déplafonnement »2.

Le remède sera-t-il pire que le mal ? En effet, la complexité et la surabondance de ces règles peut être source de découragement pour de nombreux acteurs enclins à s’orienter vers d’autres types de placement, plus simples, plus rentables. Par ailleurs, si cette mesure conduit à décorréler le loyer encadré du loyer marché, il est à craindre un défaut d’entretien de ce patrimoine, certains évoquant les effets dévastateurs de la loi du 1er septembre 1948, bien loin des objectifs du décret tertiaire.

Vers un renfort de la théorie du 0 kilomètre ?

Cette politique d’encadrement des loyers commerciaux pourra-t-elle conduire à l’essor massif du e-commerce et à la disparition du commerce de proximité ? Alors que plus de 14 000 sites internet marchands ont été créés en une année et que, sur cette même période, le secteur du e-commerce (produits et services) a progressé de 10% et a atteint 35,7 milliards d’euros au 2ème trimestre 2022, l’essor du e-commerce renforce les tensions sur le marché de l’immobilier. Aujourd’hui, 62% des ventes mondiales de e-commerce sont réalisées sur une marketplace, modèle incontournable, et 70% des consommateurs déclarent que ces plateformes sont le moyen le plus pratique de faire des achats.

Pour autant, ce succès n’a pas d’impact sur la prospérité des commerces physiques. En France, en 2021, 600 000 commerçants alimentaires et non-alimentaires sont indépendants selon la Confédération des Commerçants de France (CDF)3. Le commerce de proximité résiste donc au développement des grandes enseignes mais surtout à l’essor du e-commerce.

Les sites internet ne concurrencent en aucun cas le retail, bien au contraire, ils représentent un complément qui semble aujourd’hui indispensable. En effet, la Fédération du e-commerce et de la vente à distance estime que 80% des commerçants traditionnels disposent également d’un site de vente en ligne et constatent un impact positif sur les visites et les ventes en magasin. De plus, 60% des PME interrogées dans le cadre de l’enquête constatent une progression de plus de 10% du chiffre d’affaires en point de vente physique à la suite du lancement de leur site.

Il ne fait aucun doute que cette mesure ne manquera pas de susciter des positions très tranchées. Il conviendra ainsi de suivre l’évolution des modalités de ce dispositif.

https://www.lille.fr/

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029101502/

3https://www.commercants-de-france.org/

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