Ajustements prix de transfert, TVA et valeur en douane : des enjeux à anticiper

Le 26 juin 2023 |
Les ajustements de prix de transfert, enjeu crucial pour les entreprises multinationales, sont à l’origine de problématiques complexes de fiscalité directe qu’il convient d’anticiper. En outre, bien que cet aspect semble moins intégré par les opérateurs, ils peuvent également entraîner des conséquences en matière de fiscalité indirecte, dont la méconnaissance peut conduire à de lourdes sanctions fiscales et douanières.

Prix de transfert et TVA : un vide juridique persistant

Les prix de transfert sont un enjeu de fiscalité directe bien connu des entreprises multinationales, en ce qu’ils permettent une juste répartition des profits entre entités liées. Or, le traitement des ajustements de prix de transfert peut également être un casse-tête pour les entreprises concernées au regard de la fiscalité indirecte, en raison du vide juridique auquel elles se confrontent. En effet, la directive TVA n’apporte pas de précision quant à l’appréhension des ajustements de prix de transfert. Le droit national et la doctrine administrative française restent également silencieux sur ce point. Dans ce contexte, les intéressés sont contraints de s’inspirer des grands principes du système TVA européen.

La Commission européenne, via le Groupe d’experts sur la TVA, a fait connaître sa position dans un rapport du 18 avril 2018 : les ajustements de prix de transfert doivent être considérés comme hors champ d’application de la TVA, dès lors que les parties à une transaction disposent d’un droit à récupération intégral de la TVA. Par ailleurs, l’article 80-1 de la directive TVA n’autorise le réajustement de la base taxable que lorsque des assujettis liés ne disposent pas d’un droit à déduction complet, en cohérence avec le principe de neutralité.

En second lieu, la Commission européenne considère que la TVA est applicable lorsque l’ajustement de prix de transfert porte sur une opération entrant dans le champ d’application de la taxe. Cela suppose l’existence d’une livraison de bien ou d’une prestation de service réalisée à titre onéreux, par un assujetti agissant en tant que tel.

Lorsqu’un ajustement est directement lié à une transaction initiale imposable, le traitement TVA appliqué doit être identique à l’original. Les experts de la commission précisent que la caractérisation d’un lien direct suppose que le montant total de l’ajustement puisse être décomposé, et rapporté à chacune des opérations qu’il entend corriger.

Dès lors, si l’ajustement est réalisé dans le cadre de l’exécution d’un contrat, il pourrait s’agir d’une transaction entrant dans le champ de la TVA s’il porte sur une transaction initiale prévue par ledit contrat. Ce serait par exemple le cas d’un contrat qui prévoirait la réalisation d’ajustements pour compenser les variations entre le coût prévu et le coût réel de prestations administratives. L’assujetti devrait alors émettre une note de crédit ou une facture rectificative, et appliquer le même traitement TVA que dans le cadre de la transaction initiale.

Inversement, les ajustements portant sur une transaction pour laquelle il n’existait pas de contrepartie initiale sont en principe exclus du champ d’application de la TVA, et donc non-imposables, dans le cas où l’ajustement prix de transfert conduirait à une hausse de la contrepartie payée initialement. Les ajustements compensatoires (ou automatiques) prospectifs ne présenteraient pas non plus d’impacts en matière de TVA.  

Une articulation complexe avec les procédures de dédouanement

Au-delà de l’enjeu TVA, les prix de transfert impactent également la matière douanière, en ce qu’ils sont susceptibles de concerner les marchandises importées dans l’Union européenne, ou exportées hors de l’Union. Il convient à cet égard de rappeler que la valeur douanière d’une marchandise importée est déterminée au moment de la déclaration en douane, alors qu’un prix de transfert est susceptible d’évoluer au gré du contexte économique au sein du groupe.

À ce propos, l’administration des douanes française indique que lorsqu’un prix de transfert est assorti d’une clause de révision connue au moment du dédouanement, mais dont le montant n’est pas déterminable avant la mise en libre pratique des biens, la société doit solliciter une autorisation particulière. Il peut s’agir :

  • d’une autorisation de valeur provisoire (articles 166 et 167 du CDU) déterminée sur la base des éléments connus et d’une estimation des éléments inconnus,
  • d’une autorisation d’ajustement (Article 73 du CDU) qui anticipe, sur la base des données antérieures stables fournies par l’opérateur, les éléments de prix manquants au moment de l’importation.  Celle-ci est délivrée par le bureau de la politique tarifaire et commerciale (COMINT3). 

Lorsque la déclaration n’est assortie d’aucune de ces autorisations, la valeur déclarée est considérée comme définitive. En cas d’ajustement du prix à la baisse, le déclarant s’expose ainsi à un refus de réduction du montant des droits et taxes (1). À l’inverse, en cas d’ajustement à la hausse, le déclarant s’expose à un redressement.

Sécuriser le traitement TVA et douanier des flux intra-groupe  

Compte-tenu du vide juridique émanant des textes européens, certains pays ont adopté des positions claires à ce sujet. Ce n’est toutefois pas le cas de la France.

Aussi, pour éviter le risque que certaines administrations assimilent les ajustements de prix de transfert à des ajustements de prix d’une opération imposable à la TVA, il est préférable d’utiliser une terminologie claire et non équivoque sur les documents commerciaux telles que les factures, permettant d’identifier la nature de l’ajustement. Des mentions telles que « justificatif d’ajustement de prix de transfert non soumis à la TVA » peuvent sécuriser la situation fiscale des assujettis. Les entreprises concernées ont également la possibilité de solliciter un rescrit fiscal auprès des autorités nationales.

Par ailleurs en matière douanière, une solution pour éviter les effets néfastes liés à la valeur définitive de la valeur en douane peut être de ne pas effectuer d’ajustement de prix de transfert portant sur la valeur des marchandises importées, mais uniquement sur le profit. Il convient toutefois de préciser que cette méthode n’est possible que dans les pays qui l’autorisent.

Les entreprises internationales doivent faire face à l’émergence de réglementations plus nombreuses et exigeantes en matière de prix de transfert ce qui est susceptible d’impacter les traitements fiscaux et douaniers. Les incertitudes persistantes en la matière et les risques liés doivent conduire les entreprises à améliorer sans cesse leur gestion des données et processus relatifs aux traitements TVA/douane de leurs flux intragroupes, et à solliciter les conseils d’experts sur ce sujet complexe.

(1) CJUE, arrêt du 20/12/17, Hamamatsu Photonics Deutschland GmbH contre Hauptzollamt, aff : C-529/16

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