Smart building : réinventer le bâtiment au service du climat et des Hommes

Le 9 mars 2021 |
Ils abondent en ville et nous y passons de nombreuses heures chaque jour : les bâtiments. Dès leur conception et tout au long de leur exploitation, ces derniers ont un impact fort sur l’environnement et sur la qualité de vie des usagers. Alors que le concept de smart building fait consensus et qu’il est déjà une réalité en France, la loi l’imposant, des défis restent à relever pour faire du bâtiment de demain un bâtiment augmenté bénéficiant pleinement au climat, à la cité et aux Hommes.

Mettre un terme à des décennies de pratiques polluantes

Deuxième composant le plus utilisé sur les chantiers, le béton arrive en tête des matériaux les plus polluants : en plus de consommer beaucoup d’eau et d’avoir une dégradation particulièrement lente dans le temps, son utilisation massive contribue très activement à la pollution de l’air compte tenu des nombreuses particules fines esséminées lors des travaux de construction. D’où la nécessité, en 2021, pour les acteurs du BTP, de recourir à des matériaux moins émissifs à l’instar des ossatures en bois, dont l’utilisation est en passe de se développer sous l’effet des primes à l’utilisation de matériaux renouvelables, ou d’opter, lorsque le béton est indispensable, pour les solutions d’impression 3D en devenir.

Outre leur construction, les moyens de chauffage et la qualité de l’isolation des bâtiments peuvent eux aussi participer à aggraver le risque climatique. C’est précisément parce qu’il est trop néfaste que le chauffage au gaz des maisons individuelles neuves sera interdit à l’été 2021 et qu’il le sera, pour les logements collectifs, en 2024. Puissants leviers de transformation, les réglementations successives ont impulsé et accéléré la mutation vertueuse du secteur du BTP et de l’immobilier au regard des objectifs de neutralité carbone à atteindre : avec l’interdiction du fioul et du gaz, l’Etat met en effet tout en œuvre pour favoriser les énergies renouvelables (EnR) dans le mix énergétique, lesquelles participent à la production d’électricité décarbonée à 90% en France1 – contrairement aux énergies fossiles jusqu’alors employées. Le verdissement du chauffage n’a toutefois pas de sens sans une isolation performante : d’où l’enjeu de rénovation thermique des bâtiments privés et publics, dont les plus anciens s’apparentent parfois à de véritables passoires énergétiques.

Enfin, s’ajoute à ces différents volets l’exploitation en tant que telle des bâtiments, pensés et conçus pour la plupart d’entre eux à une époque où les besoins des usagers et l’importance accordée au réchauffement climatique étaient autrement différents. Aujourd’hui, les Français2 souhaitent notamment avoir accès à leurs essentiels (logement, travail, commerces, écoles, loisirs, etc.) dans un rayon de 10km : une volonté qui s’est d’ailleurs vue confirmée par la crise sanitaire, laquelle aura agi comme un accélérateur des tendances préexistantes. En somme, être smart, c’est repenser de fond en comble chaque aspect de la conception et de l’exploitation du bâtiment, tout au long de son existence. Plus que jamais, les nombreux défis identifiés doivent être considérés dans une logique urbaniste globale, le smart building n’étant que l’un des six piliers3 interdépendants de la smart city.

Des leviers de transformation à activer

Si la crise a renforcé la conscience environnementale des Français, le télétravail a paradoxalement amplifié leur volonté de vivre dans plus grand, de manière plus horizontale donc moins responsable. C’est pourquoi la verticalisation de la ville – une vraie solution aux problématiques d’optimisation de l’énergie – ne séduira les Français qu’à condition de répondre à leurs exigences. En ce sens, repenser les usages de la cité et des bâtiments qui la composent constitue une priorité, d’autant plus que le taux d’inoccupation de ces derniers a explosé au cours des derniers mois. Il est donc aujourd’hui question de réfléchir à des usages plus intelligents, versatiles et mutualisés pour apporter des réponses aux nouveaux besoins des habitants. Cela pourrait se matérialiser, par exemple, avec des salles de télétravail communes à l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier afin de limiter les déplacements tout en favorisant le lien social. Cette modularité des usages et la réversibilité du parc existant – qu’il s’agisse de l’immobilier résidentiel, de bureau, logistique, commercial ou de loisir – profiteront à tous : à la fois aux usagers, qui pourront ainsi avoir accès à des lieux de vie additionnels à leur logement sans avoir à acheter plus grand, mais aussi aux promoteurs qui, grâce à un pilotage plus itératif, conserveront des taux de marge satisfaisants tout en continuant de réduire durablement l’empreinte carbone de leurs bâtiments tout au long de leur exploitation.

Puissantes et indissociables de la notion de smart building, les technologies occuperont une place centrale dans cette transformation, en perfectionnant et apportant une valeur ajoutée au bâtiment dès sa conception et toute sa vie durant. Adaptation et extinction automatiques des éclairages, diminution du chauffage aux moments opportuns, etc. : grâce aux capteurs intelligents et objets connectés (IoT), les bâtiments privés et publics équipés collectent déjà à des fins vertueuses, aux côtés des énergéticiens4 et des villes, les données nécessaires à l’anticipation et à l’optimisation de la consommation d’énergie. A la clé ? Economie de matières premières, réduction de l’empreinte environnementale et baisse des factures. Des apports notables qui soulèvent toutefois deux problématiques. Premièrement, à l’heure où les solutions et outils connectés se multiplient à un rythme effréné, il est impératif que le recours à l’immotique et à la domotique s’inscrive avec cohérence dans une logique de consommation énergétique raisonnée pour éviter toute contre productivité – certains équipements et gadgets étant particulièrement énergivores et/ou difficilement recyclables. D’autre part, l’exploitation de la data est encore source d’inquiétude, de réticence voire de nette opposition malgré ses bénéfices directs et démontrés. Alors pour embarquer chaque usager dans cette transformation vertueuse du bâtiment et de la ville, un indispensable travail de pédagogie et de démystification reste à effectuer et ne pourra être mené efficacement sans le soutien de l’Etat.

La réhabilitation et l’accessibilité, deux défis complexes à relever

Les champions mondiaux que sont les promoteurs immobiliers français mettent plus que jamais leur ingéniosité et leur capacité d’innovation au service du climat : en concevant des programmes neufs respectant les différents enjeux environnementaux et de durabilité, mais aussi en repensant les usages de l’ancien. Ces acteurs se sont par ailleurs fixé des objectifs ambitieux et ont pris des engagements forts à l’instar de l’indexation de la rémunération variable de leurs dirigeants sur la performance énergétique des bâtiments. Toutefois, le smart building ne se limite pas au neuf et pose la question de la réhabilitation voire de la rénovation du parc existant, particulièrement émissif. Si le neuf est bien plus disposé que l’ancien à avoir un impact positif notable sur son environnement, transformer l’ancien permettrait au moins de limiter ses effets, dont certains peuvent être dévastateurs. Cependant, il s’agit-là d’un chantier d’ampleur qui, en dépit des réglementations et dispositifs fiscaux le favorisant, soulève de nombreuses problématiques au-delà même de son financement, comme le manque de main d’œuvre qualifiée pour mettre en œuvre les techniques d’efficacité énergétique dernier cri employées.

Enfin, le smart building ne sera totalement smart qu’à condition d’être accessible. Car en définitive, quel intérêt, pour la smart city et les Hommes qui la composent, de voir se multiplier des logements ultra sophistiqués, intelligents et hyperconnectés, dans lesquels seule une élite pourrait investir ? A l’évidence, un équilibre reste à trouver entre qualité et accessibilité des logements en France. Toutefois, au vu de l’envol des prix de l’immobilier, les problématiques françaises d’accession à la propriété pourraient trouver des réponses dans les nouveaux modèles de propriété (groupée, partagée, rotative…), dont certains restent encore à imaginer. De plus en plus ouverts à ces options5, les Français pourraient bien s’y intéresser plus massivement au cours des prochaines années : au bénéfice du climat et de la société, certes, mais aussi et surtout de leur qualité de vie.

1EDF partage la data — Open Data EDF

2, 5Baromètre « Immobilier & société : vivre et travailler en ville » (Mazars, juillet 2020)

3 Les six piliers de la smart city : smart environment, smart mobility, smart living, smart governance, smart economy, smart people

4Production d'énergie et mix énergétique | EDF Groupe

Auteurs

Claire Gueydan-O’Quin
Claire Gueydan-O’Quin Associée, Resp Conseil Immobilier & Global Head RE Paris

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