Pour des objectifs de mixité contraignants à la tête des entreprises

Le 29 janvier 2021 |
Nous appelons à mettre en place des objectifs chiffrés de mixité femmes-hommes chez les cadres dirigeants.

Le 27 janvier 2011 fut promulguée la loi Copé-Zimmermann relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration (CA) et de surveillance et à l'égalité professionnelle.

Cette loi, dont le principal objectif est qu’un genre donné soit représenté dans une proportion de 60% maximum, fut accueillie avec méfiance, souvent, avec franche opposition, parfois. Beaucoup n’y croyaient pas, estimant qu’il n’y avait pas les viviers, que ce serait un frein au bon fonctionnement des instances, que les femmes n’étaient pas prêtes voire ne souhaitaient pas entrer dans ces CA.

Aujourd’hui, 10 ans plus tard, non seulement la France y est parvenue mais cette loi fait l’unanimité ! On ne compte pas les analyses témoignant d’une gouvernance s’en trouvant fort améliorée grâce à une plus grande diversité de points de vue. Pour ceux qui en doutaient, cette réussite atteste de la véracité de l’adage : « Quand on veut, on peut ». La France est même devenue leader mondial de la mixité dans les CA, avec 46% de femmes au sein du CAC40 alors qu’il y en avait 20.8% en 20111!

Cette mise en place fut loin d’être aisée et n’est à ce jour toujours pas parfaite. On fait souvent le reproche aux entreprises de biaiser les résultats, en particulier en piochant dans une liste restreinte de femmes, qui se retrouvent membres de multiples CA. Soit ! Ce phénomène est un moindre mal si l’on se met à imaginer où en serait la mixité des CA en France si la loi n’avait pas existé.

Un des objectifs n’a cependant pas été atteint : les initiateurs de cette loi pensaient que la mixité femmes-hommes dans les CA entraînerait mécaniquement la mixité des comités exécutifs (Comex) par ruissellement. Il n’en est rien : la proportion de femmes dans les Comex du CAC40 n’est aujourd’hui que de 22%2 !

On peut en conclure que l’exemplarité des CA, l’action des comités de nominations, le contexte médiatique et sociétal de quasi-injonction, n’ont pas eu effet sur la mixité des équipes dirigeantes.

C’est une déception, tirons les conséquences de cet échec : il faut répliquer, sur les cadres dirigeants, la recette de la loi Copé-Zimmerman et fixer des objectifs de mixité sur cette population. Objectifs ambitieux, progressifs par paliers, suivis par des indicateurs. Comme avec la loi Copé-Zimmermann, il faut commencer par définir des objectifs et un calendrier pour laisser le temps de construire le réservoir de talents féminins, en utilisant des mécanismes incitatifs permettant d’atteindre ces seuils. Le déclenchement de pénalités ne se ferait que pour ceux n’ont pas avancé à échéance de ce calendrier.

Notre préférence eut été de se passer d’une loi Copé-Zimmerman bis. Mais les piètres avancées, rapportées aux budgets importants déployés depuis longtemps, indiquent qu’il est urgent de changer la méthode. Si les budgets mixité doivent être reconduits afin d’effectuer le travail nécessaire en matière de politiques et processus RH et de culture d’entreprise, ils ne suffisent pas.

Nous savons que la problématique de la mixité des équipes dirigeantes est différente de celle de la mixité des CA : le recrutement extérieur, quasi automatique pour les CA, permet de modifier rapidement les équilibres de genre mais n’est pas la pratique pour les équipes dirigeantes ; la définition d’un CA est juridique et permet de légiférer, ce n’est pas le cas pour un comex. Nous savons aussi qu’il est difficile d’atteindre la mixité dans les comex si le vivier des cadres dirigeants n’a pas lui-même une masse critique de femmes. Sans compter les biais dans les processus d’évaluation ou de promotion qui rendent invisibles des femmes compétentes. La liste est longue des freins à l’ascension des femmes. 

Mais il faut avancer !

Il ne s’agit plus de réexpliquer la nécessité de la mixité des équipes dirigeantes pour les raisons de performance, d’éthique et de RSE ; ni de réexpliquer les bienfaits d’un leadership aux multiples facettes. Il s’agit de reconnaître l’absolue nécessité de le faire maintenant. La pandémie a récemment confirmé et renforcé les inégalités de genre, fragilisé encore les positions des femmes au travail comme dans les foyers. Nous voulons rendre cette crise au moins utile et, par un engagement clair vers l’avancement des femmes, marquer un changement vers plus d’équité, qui va de pair avec une meilleure performance. C’est notre rôle de dirigeant(e) de prendre position, faire preuve de courage et de vision, dire que l’on ne peut plus continuer à perdre du temps sur un sujet stratégique.

Et simultanément à la mise en place de mesures pour atteindre ces objectifs, redéfinissons ensemble les styles de leadership dont nos entreprises ont besoin. Faisons-nous aider et aidons-nous mutuellement pour y parvenir. Créons un mouvement interne vertueux en invitant chacun(e) à participer à ce projet d’entreprise, partageons nos bonnes pratiques. Et enfin, cessons de chercher et d’accepter les excuses : même dans les industries dites « masculines », on y arrive.

Les leviers pour parvenir à une population de cadres dirigeants équilibrée sont connus : l’engagement personnel et l’action des dirigeant(e)s, des indicateurs performants, un travail sur les états d’esprits (femmes et hommes, au travers de formations et de coaching), des politiques RH neutralisant les biais (de maternité, recrutement, évaluation, promotion) et, enfin, des objectifs contraignants.

Ces objectifs représentent aujourd’hui la pièce manquante au niveau des cadres dirigeants. Sans contrainte, tous les efforts resteront infructueux. Nous avons échoué avec cette méthode qui consiste à encourager sans contraindre. Fixer des objectifs est donc nécessaire et, nous l’espérons, seulement temporaire. L’objectif de 40% minimum d’un genre parmi les cadres dirigeants, à un horizon à définir par paliers, est ce que nous préconisons.

 

1, 2 source : Ethics and Boards

Article paru dans Le Monde

 

Une tribune signée par les dirigeant(e)s engagé(e)s de l’Observatoire de la Mixité :

  • Hélène Bernicot (Directrice générale de Arkéa),
  • Méka Brunel (Directrice générale de Gecina),
  • Julien Carmona (Directeur général délégué de Nexity),
  • Jean-Pierre Farandou (Président-directeur général de SNCF),
  • Hervé Hélias (Président-directeur général Groupe Mazars),
  • Gérald Karsenti (Président France de SAP),
  • Michel Landel (Parrain de l’Observatoire de la Mixité et administrateur indépendant),
  • Anna Notarianni (Présidente France Sodexo).

Ces dirigeants sont membres de l’Observatoire de la mixité, groupe de réflexion et d’échange de bonnes pratiques sur la mixité dans les entreprises, coordonné par Marie-Christine Mahéas et Caroline de La Marnierre.

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