Vers un encadrement de la financiarisation des métiers de la santé imposée par les ordres professionnels ?

Novembre 2023 | Quatre décisions rendues en juillet dernier par le Conseil d'Etat apportent une nouvelle grille de lecture sur la gouvernance des sociétés d'exercice libérales comprenant un actionnariat financier.

Coup de tonnerre chez les investisseurs en santé animale : par quatre décisions rendues le 10 juillet dernier, le Conseil d'Etat a conforté les décisions rendues par le Conseil national de l'Ordre des Vétérinaires (CNOV) prononçant la radiation de certaines structures d'exercices organisées sous forme de société d'exercice libérale (SEL).

Ces SEL – fréquemment adoptées par les professionnels de santé pour exercer leur activité – permettent d'associer aux professionnels des investisseurs. Pour des raisons d'indépendance, de moralité et de probité – garanties par les conseils de l'Ordre – la majorité du capital social des SEL doit être détenue par des associés en exercice au sein de ces sociétés et non des tiers. Le Conseil d'Etat rappelle en effet dans ces décisions que cette exigence a pour objet de réduire les risques que la SEL « adopte des stratégies économiques, animées essentiellement par un objectif de rentabilité, susceptibles de porter atteinte à l'objectif de protection de santé publique et de santé animale ».

En l'espèce, pour l'une des décisions qui a retenu notre intérêt, le Conseil d'Etat a procédé à une analyse circonstanciée des statuts et des accords extra-statutaires conclus entre des associés professionnels – détenant 50,01% du capital de la SEL – et un investisseur financier – détenant le solde du capital.

Le faisceau d'indices aboutissant à la qualification de contrôle de fait par l'associé financier est le suivant :

  • engagement de distribution de dividendes, étant précisé que l'associé financier bénéficie d'actions de préférence lui permettant de recevoir 99% des dividendes,
  • quorum en assemblée impliquant la présence de l'associé financier,
  • promesse de vente consentie par les associés vétérinaires au profit de l'associé financier pouvant lui conférer la majorité du capital exerçable à tout moment,
  • majorité des voix en conseil d'administration détenue par l'associé financier et compétence de conseil sur des décisions structurantes (notamment investissements, embauche de vétérinaires)

Il conclut que « les associés vétérinaires, quoique détenant la majorité des droits de vote, ne sont pas en mesure de contrôler effectivement la société » et confirme la radiation de la SEL prononcée par le CNOV.

Les autres décisions rendues par le Conseil d'Etat sont venues rappeler que la majorité des associés devaient exercer leur activité au sein des structures, qu'une SEL pouvait être associée d'un fabricant de produits vétérinaires mais que la réciproque était interdite. Enfin, si le Conseil d'Etat est venu encadrer la gouvernance des SEL, il a considéré que les fonctions supports des SEL (comptabilité, support administratifs, achats,…) pouvaient être externalisées dans une structure non détenue par des professionnels.

L'Ordre des vétérinaires a confirmé le 28 septembre dernier la radiation des SEL concernées en constatant qu'elles ne s'étaient pas conformées aux principes énoncés par le Conseil d'Etat.

Ces décisions sont instructives pour l'ensemble de l'écosystème des soins organisés sous forme de SEL. Les concentrations des structures exerçant sous cette forme ont été nombreuses ces dernières années, pour les soins vétérinaires mais également les dentistes, ophtalmologistes, les centres d'analyses médicales ou encore les radiologues. Ces concentrations ont été opérées par l'entrée massive de fonds d'investissement qui ont permis de financer les investissements nécessaires au regroupement des structures et leur digitalisation.

Les décisions rendues en juillet dernier par le Conseil d'Etat apportent une nouvelle grille de lecture particulièrement intéressante sur la gouvernance des SEL comprenant un actionnariat financier. Les critères issus de ces décisions doivent désormais être pris en compte par les SEL, tant pour optimiser leur fonctionnement existant et que pour la mise en œuvre de futurs projets. On ne peut en effet pas écarter que la solution dégagée par le Conseil d'Etat ne soit reprise par les ordres professionnels, que ce soit dans le secteur vétérinaire comme dans d'autres activités de santé.