Décision du Conseil d’Etat 472587 en date du 8 décembre 2023

Décembre 2023 | Le vendredi 8 décembre 2023, le Conseil d’Etat a rendu une décision favorable à la Fédération Bancaire Française (FBF) dans le cadre de son recours pour excès de pouvoir visant à l’annulation des commentaires de l’administration fiscale sur le sujet de la taxation des dividendes en cas de prêt-emprunt d’actions françaises détenues par des résidents étrangers ou de transactions assimilées (y compris synthétiques).

Conseil d'État, 3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies, 08/12/2023, 472587, Publié au recueil Lebon - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

  • La FBF, qui agissait au nom et pour le compte des grandes banques françaises et internationales présentes en France, demandait au Conseil d’Etat l’annulation des paragraphes 1 et 5 de la doctrine administrative BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10 et des deux rescrits BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123 publiés le 15 février 2023. Ces commentaires administratifs étaient relatifs aux dispositions du 2 de l’article 119 bis du Code général des impôts (CGI) qui soumettent à retenue à la source les produits qui bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile ou siège social en France. La FBF, dans son rôle de représentation des banques, demandait l’annulation des doctrines administratives précitées (y compris deux rescrits) qui prévoyaient l’application de la retenue à la source du 2 de l’article 119 bis du CGI à des intermédiaires basés en France dès lors que le bénéficiaire effectif était situé en dehors de France.
  • Dans sa doctrine administrative BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, l’administration fiscale indiquait notamment que la retenue à la source du 2 de l’article 119 bis du CGI « s'applique aux revenus considérés dans la mesure où ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. À cet égard, la retenue à la source s'applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c'est-à-dire la personne qui a le droit d'en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France. » (paragraphe 1). L’administration fiscale ajoutait au paragraphe 5 que « Dans certaines situations, la détermination des personnes qui bénéficient effectivement des revenus sur lesquels s'applique cette retenue à la source peut présenter des spécificités, notamment en ce qui concerne le traitement fiscal de certaines activités des établissements bancaires concernant les acquisitions temporaires d’actions de sociétés françaises et les opérations sur certains produits dérivés. » et renvoyait aux deux rescrits BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123 sur les opérations particulières du secteur bancaire.
  • Dans sa décision rendue le vendredi 8 décembre 2023, le Conseil d’Etat fait droit à la demande d’annulation de la FBF et indique dans sa décision qu’ :
    • il résulte du 2 de l’article 119 bis du CGI que les distributions de produits d’actions et de parts sociales et les revenus assimilés (articles 108 à 117 bis du CGI) donnent lieu à l’application d’une retenue à la source lorsque le titulaire du droit de les percevoir ou, s’agissant de revenus regardés comme distribués, leur bénéficiaire est domicilié ou établi hors de France. Le 2 de l’article 119 bis du CGI ne saurait être interprété comme prévoyant que sont soumises à retenue à la source des distributions dont le titulaire est une personne ayant son domicile fiscal ou son siège en France, lorsque les sommes en cause sont reversées, en tout ou en partie, à une personne ne satisfaisant pas à cette condition de résidence fiscale en France et regardée par l’administration fiscale comme en étant le bénéficiaire effectif ; 
    • en dehors des situations donnant lieu à retenue à la source expressément prévues par l’article 119 bis A du CGI, l’administration fiscale ne peut, sauf à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit (article L. 64 du livre des procédures fiscales), écarter comme ne lui étant pas opposable l’interposition, entre l’établissement payeur et la personne non résidente qu’elle regarde comme le bénéficiaire effectif des revenus en cause, d’une personne résidente titulaire du droit de percevoir des distributions.

Le Conseil d’Etat décide que le paragraphe 1 de la doctrine administrative BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10 ajoute incompétemment au 2 de l’article 119 bis du CGI et annule par voie de conséquence le paragraphe 5 du BOI-RPPM-RCM 30-30-10-10 et les rescrits BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123.

Cette décision favorable au secteur bancaire rendue par le Conseil d’Etat ne doit pas faire oublier le volet pénal présenté par le Rapporteur Public dans ses conclusions lors de l’audience du 24 novembre 2023. Certains établissements bancaires pourraient en effet être poursuivis sur le terrain du blanchiment aggravé de fraude fiscale, un délit puni jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 3 750 000 euros d’amende (article 324-2, Code pénal ; article 131-38, Code pénal) ; cette amende pouvant également être rehaussée jusqu’à la moitié de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment (article 324-3, Code pénal) à savoir la moitié du montant de l’impôt éludé.  L’Etat pourrait également se porter partie civile pour tout manque à gagner du point de vue des finances publiques quant aux opérations visées.

Les banques qui ont pris acte de la décision favorable du Conseil d’Etat devront néanmoins rester vigilantes quant aux

  • Redressements fondés potentiellement sur la procédure d’abus de droit pour les années non prescrites qui risquent d’être notifiés avant la fin de l’année 2023 ; et
  • Eventuels développements de l’argumentation du Rapporteur Public qui pourraient conforter le Parquet National Financier (PNF) dans la caractérisation d’un éventuel délit pénal (y compris après les perquisitions réalisées au sein de certains établissements financiers au mois de mars 2023). 

Les deux procédures fiscale et pénale étant indépendantes, elles peuvent se développer en parallèle (y compris en matière de sanctions).  L’intervention d’une équipe d’avocats fiscalistes spécialisée dans le secteur bancaire est donc nécessaire dans le contexte de chacune de ces procédures pour faire valoir les arguments des banques quant à la nature exacte des opérations réalisées.