Article | Arrêt favorable au contribuable en matière de bénéficiaire effectif

Mars 2024 | La Première Chambre de la Cour Administrative d’Appel de Versailles a rendu un arrêt favorable au contribuable dans le cadre d’un contentieux sur la qualification du bénéficiaire effectif de distributions de dividendes.

En 2013, une société luxembourgeoise a acheté à une société suisse, avec laquelle elle n’a aucun lien en capital, la totalité des titres d’une société française au moyen d’un crédit-vendeur payable sur cinq ans. A partir de 2014, la société française a versé des dividendes à sa société mère luxembourgeoise. Ces distributions de dividendes n’ont pas fait l’objet de retenue à la source en France en application de l’article 119 ter du Code général des impôts (dans sa version applicable avant 2016) qui prévoit une exonération de retenue à la source (sous conditions) dès lors que les dividendes sont distribués à une personne morale qui a son siège de direction effective dans un Etat membre de l'Union européenne et qui justifie être le bénéficiaire effectif des distributions.

L’administration fiscale française a remis en cause l’exonération de retenue à la source sur les distributions de dividendes de la société française à sa mère luxembourgeoise en considérant que le bénéficiaire effectif de ces distributions de dividende n’était pas la société luxembourgeoise mais la société suisse. Pour justifier sa position, l’administration fiscale fait valoir que les dividendes reçus par la société luxembourgeoise de sa filiale française étaient intégralement reversés à la société suisse au titre du remboursement du crédit-vendeur.  Cette dernière devant être, selon les dires de l’administration, regardée comme le bénéficiaire effectif des distributions de la société française, la société luxembourgeoise étant simplement « interposée » entre la société française et la société suisse.     

Les juges de la Première Chambre de la Cour Administrative d’Appel de Versailles écartent les arguments avancés par l’administration fiscale et indiquent que le fait pour la société luxembourgeoise d’employer les dividendes reçus de sa filiale française au remboursement de son crédit-vendeur constitue un choix de gestion qui lui est propre et qui lui a permis de se désendetter et d’accroître ses actifs.

L’arrêt précise que les circonstances décrites ci-après n’ont aucune incidence sur l’analyse de la notion de bénéficiaire effectif et ne sont pas de nature à établir que la société luxembourgeoise ne serait qu’interposée entre la société française et la société suisse qui, au demeurant, ne sont pas liées : (i) l’immatriculation de la société suisse peu de temps avant l’acquisition des titres de la société française ; (ii) l’absence de distribution de dividende de la société française à la société suisse pendant les cinq années précédant la cession des titres à la société luxembourgeoise ; (iii) la réalisation par la société suisse d’une plus-value quasiment égale au prix de vente ; (iv) la mise en place d’un crédit-vendeur sur la totalité du prix de cession ; et (v) que les titres de la société française nantis reviendraient à la société suisse (le vendeur) en cas de défaut de paiement du prix d’acquisition par la société luxembourgeoise.

Dans ces conditions, la Première Chambre de la Cour Administrative d’Appel de Versailles juge que la société luxembourgeoise doit être regardée comme étant le bénéficiaire effectif des dividendes reçus de sa filiale française.

La notion de bénéficiaire effectif doit toujours être considérée avec précaution et nécessite une analyse fiscale technique au cas par cas des entités et des flux impliqués.

La solution de cet arrêt favorable au contribuable est très intéressante dans l’appréhension de la notion de bénéficiaire effectif qui n’est généralement pas définie par le droit interne français mais plutôt par le droit communautaire dans des dispositifs anti-abus ou dans l’approche des conventions fiscales dites OCDE (voir à ce sujet les conclusions du Rapporteur Public Romain Victor sur Conseil d’Etat du 8 décembre 2023 n.472587 dans le cadre du Recours pour Excès de Pouvoir déposé par la Fédération Bancaire Française). Cette décision de la Cour Administrative d’Appel de Versailles est bienvenue en ce qu’elle permet de qualifier juridiquement le réel flux économique d’une transaction (un crédit vendeur étant un simple financement) en le séparant des autres flux financiers qui ont eux-mêmes leur propre caractérisation juridique (un dividende au cas d’espèce).

 

Par Jérôme Labrousse, Avocat Associé, et Marie Hallopeau, Avocate Senior | Mazars Société d’Avocats