Relocalisations en France, entre opportunités et stratégies

Le 1er juin 2020 |
Phénomène amorcé depuis quelques années, les relocalisations ou localisations d’activités en France devraient connaître un nouvel essor dans le contexte actuel de la crise sanitaire du Covid-19 qui s’ajoute au Brexit, sous l’impulsion des prochaines mesures prises par le gouvernement.
Cette politique de « retour au pays » est en lien avec la volonté de davantage contrôler les investissements non européens, laissant de belles opportunités d’investissements aux acteurs locaux. Tous les secteurs sont concernés et en priorité ceux assurant à la France une autonomie de production et une indépendance sur des produits vitaux, tels que la santé, l’énergie, le textile, l’agriculture et certaines industries stratégiques.  
Face aux stratégies de réorganisations, les enjeux sont multiples et de nombreux leviers juridiques, fiscaux et sociaux existent d’ores et déjà pour mettre en œuvre ce processus, dans l’attente de dispositifs spécifiques qui pourraient être prochainement annoncés.

Les enjeux juridiques, fiscaux et sociaux des relocalisations

  • En matière de financement

Dans le contexte actuel, les entreprises qui affrontent une crise des liquidités sont nombreuses, le financement et la gestion des flux de trésorerie étant un vrai enjeu. Ainsi, les entreprises désireuses de revenir dans le giron national devront en premier lieu organiser leurs investissements et « deal flow » pour opérer leur réimplantation sur le sol français et gérer le taux effectif d’imposition du groupe en tenant compte des règles fiscales applicables.

A ce titre, la structuration des financements, qu’ils soient externes auprès d’institutionnels ou intragroupe, devra scrupuleusement respecter les dispositifs existants en terme de déductibilité des charges financières (taux maximum déductible prévu par l’article 39-1-3° du Code général des impôts, déductibilité des charges financières limitée à €3 million/30% de l’EBITA fiscal, abaissé à €1 million ou 10% de l’EBITDA fiscal dans le cadre du dispositif de la directive ATAD I, ou dispositif anti-hybride prévu dans le cadre de la directive ATAD II).

Par ailleurs, la baisse progressive du taux de l’impôt sur les sociétés, pour être ramené de 31% à 25% à l’horizon 2025, pourrait avoir un effet positif sur les modélisations de business plans.

  • Au regard de la chaîne d’approvisionnement

Que les relocalisations soient d’arbitrage, de retour, ou de développement compétitif, ces dynamiques s’appuient sur des logiques économiques spécifiques, à savoir l’optimisation de la production, le repositionnement dans la chaîne de valeur, la valorisation et la communication, certaines logiques de coûts (coûts cachés tels que la gestion des stocks, logistique, transport, etc.).

Cette relocalisation devra s’intégrer dans un écosystème en sécurisant les relations contractuelles avec les autres acteurs tels que les fournisseurs ou les sous-traitants. La mise en œuvre des savoir-faire pourra bénéficier du régime juridique protecteur de la propriété industrielle et des mesures fiscales de l’IP box mis en place par la loi de finances pour 2019. De même, les travaux de R&D pourront bénéficier du régime fiscal du crédit d’impôt recherche, impliquant un suivi de ces travaux (analyse de l’éligibilité des dépenses et documentation en accord avec les principes du manuel de Frascati).

Par ailleurs, une attention particulière devra être portée aux dynamiques territoriales afin de localiser au mieux les infrastructures et le capital humain. A ce titre, il existe de multiples régimes fiscaux d’aide à la relocalisation dans des zones urbaines ou rurales permettant une exonération temporaire d’impôts sur les sociétés et/ou d’impôts locaux, tels que le régime des jeunes entreprises innovantes (JEI) pour certaines sociétés engageant des dépenses de R&D ou des aides à finalité régionales, en accord avec les règles de minimis du droit de l’Union européenne qui offrent la possibilité aux Etats membres d’accorder des avantages fiscaux en faveur de certaines zones en difficultés afin de contribuer à leur développement (favoriser l’investissement productif et la création d’emploi).

  • Au regard de la gestion des flux

La relocalisation s’accompagne aussi d’enjeux en matière de prix de transfert, afin de permettre aux sociétés d’anticiper un nouvel environnement économique et opérer leur repositionnement sur les marchés (post-Covid et post-Brexit), notamment quant à la cartographie des flux entre les entités liées d’un même groupe, imbriquées dans un écosystème.

Là encore, une attention particulière devra être portée aux rémunérations de prestations de services, aux financements et garanties accordées, à l’usage des marques et de la technologie, ainsi que des transferts d’incorporels. Le repositionnement dans la chaîne de valeur nécessitera également de déterminer les conséquences sur le profit à allouer aux différentes filiales du groupe.

Une analyse en amont de ces flux en accord avec les principes OCDE sera un gage de sécurisation de ces transactions, tout en permettant la mise en œuvre d’un modèle économique opérant.

Les leviers juridiques, fiscaux et sociaux existants

Les leviers pour mener à bien cette relocalisation sur le sol français sont également multiples.

  • Mise en place d’une stratégie de réorganisation

Au plan fiscal, une analyse des coûts et avantages au regard des différents impôts doit être menée pour mettre en place la structuration la plus efficace qui limite les frottements fiscaux (notamment, taux de l’impôt sur les sociétés, impôts locaux, droit d’enregistrement, taxes sectorielles, fiscalités indirectes avec la TVA et les droits de douanes qui impliqueront de sécuriser les exportations, etc.).

Au sein d’un groupe des sociétés, des réorganisations par le biais d’acquisition, cessions, « build-up », apport partiel d’actif, filialisation, fusions, etc pourront s’avérer nécessaires. A ce titre, de nombreux dispositifs existent pour que celles-ci puissent bénéficier des régimes de neutralité quant aux impositions des plus-values latentes et au transfert des déficits le cas échéant, ainsi que la possibilité de mettre en place un régime d’intégration fiscale pour « consolider » les résultats fiscaux des sociétés françaises membres.

La structuration fiscale devra être étudiée pour appréhender correctement les impacts fiscaux en termes de service de la dette, de gestion des flux intragroupe et transfrontaliers tels que les redevances et les dividendes par le jeu des directives communautaires ou des conventions internationales.

  • Choix de la structure juridique et sécurisation des aspects contractuels

Sur la plan juridique, une réflexion préalable devra être menée sur la mise en place de la structure sociétale idoine, notamment au regard de la gouvernance et de la gestion des relations entre associés.

Un autre enjeu de taille sera la sécurisation des transferts d’incorporels par le biais de leur valorisation et leur protection (contrefaçon, brevets, etc.), dont la relocalisation en France pourra en outre venir réduire la base taxable imposable, notamment dans le cadre du régime de l’IP box.

Par ailleurs, les contrats découlant des différents leviers (financement, flux intragroupe, relations avec les fournisseurs et les sous-traitants) devront faire l’objet d’une rédaction minutieuse pour se conformer aux obligations contractuelles, mais aussi permettre un pilotage du TEG tout en respectant le principe de pleine concurrence.

  • Politique de rémunération des dirigeants et aspects sociaux

Sur le plan du droit social, des études d’impacts devront être menées pour permettre la mobilité des dirigeants et aussi leur assurer une politique de rémunération attractive, notamment par le biais de la mise en place de « management package », nécessitant une ingénierie fiscale et sociale des emplois relocalisés.

Les charges de personnel seront aussi un enjeu de gestion des coûts. En outre, dans le cadre de la crise sanitaire, une attention toute particulière devra être portée aux obligations de prévention et de sécurité sanitaire de l’environnement de travail.

En amont de ce processus, les groupes candidats au retour devront mener des missions de due diligence, mettant en exergue les zones de risques éventuelles mais aussi sur les potentiels axes d’amélioration afin d’adapter leurs positions, ainsi que modéliser les structures de relocalisation et les aspects de financement.

De manière générale, l’assistance à l’implémentation devra s’accompagner en amont des analyses d’impacts sur les sujet juridiques, fiscaux et sociaux et en aval d’un suivi minutieux de la compliance afférentes et de la gestion des relations avec les administrations locales.

Avec le panel de dispositifs existants et à venir, le « Made in France » devrait avoir de beaux jours aux couleurs tricolores devant lui, d’autant plus que des mesures d’orientation budgétaire pourraient être prochainement annoncées pour accélérer ce processus. A ce titre, certaines aides de l’État dans le cadre de la crise sanitaire pourraient être conditionnées à la relocalisation et les impôts de productivité pourraient connaître une baisse pour promouvoir l’attractivité de la France.

Accéder au replay du webinar "Relocalisations en France : entre opportunités et stratégies" (8 juin 2020)

Maîtriser et appréhender ses enjeux juridiques et fiscaux

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