Les leçons d’une sanction

Le 2 mars 2021 |
Dans l’affaire William Saurin, le régulateur a considéré que la responsabilité de Mazars, personne morale victime d’une fraude savamment organisée, était engagée au même titre que celle de l’associé signataire, par ailleurs immédiatement licencié pour faute grave fin 2016. C’est seulement la deuxième fois qu’une interdiction d’exercer avec sursis est prononcée en France à l’encontre d’un grand cabinet. Le H3C justifie cette sanction sévère par « un défaut de procédures ». Pour un groupe comme le nôtre, reconnu pour sa qualité et sans autre sinistralité depuis près de 80 ans d’existence, cette décision est un choc pour toutes les équipes ; elle soulève aussi des questions pour l’ensemble de la profession.

« Je ne fais qu’un seul métier, l’audit, car c’est un métier complexe et je veux le faire bien. » Pour tous ceux qui connaissent Mazars, souvent depuis longtemps, les mots de notre fondateur Robert Mazars résonnent avec les valeurs et principes qui sont au cœur de la croissance de notre cabinet depuis sa création : la qualité de nos prestations et la maîtrise des risques. Sans aucune ombre au tableau depuis près de 80 ans… jusqu’à l’affaire « FTL-William Saurin » survenue en novembre 2016.

Le 19 février 2021, quatre ans après l’ouverture d’une procédure d’enquête, le Haut conseil du commissariat aux comptes a sanctionné le cabinet d’une interdiction d’exercer avec sursis d’un an et d’une amende de 400 000 euros. Même si la décision ne nous empêche pas de continuer à servir nos clients, cette sanction est pour nous un choc. Bien sûr, dans ce dossier, unique et exceptionnel dans l'histoire de Mazars, nous comprenons les exigences du régulateur en termes de documentation. Un dossier d'audit se doit d'être bien documenté. Il en va de la qualité de l’audit et donc de la sécurité et de la confiance des marchés. Il en va également de la pérennité des emplois de nombreux salariés, et je pense en particulier à ceux du groupe FTL qui ont été victimes d’agissements frauduleux.

Doublement victime mais pleinement responsable ?

Mais l’interdiction d’exercer – même avec sursis – est une sanction bien lourde pour un cabinet qui, en près de 80 ans, n’a jamais eu le moindre sinistre ; et surtout, cette sanction semble ignorer que ce dossier a souffert justement d’insuffisance individuelle et parce qu’une fraude sophistiquée a été organisée, notamment pour tromper les auditeurs. Mazars est en effet partie civile au titre du délit d’entrave dans la procédure pénale liée à ce dossier, reconnaissant que nous avons été victimes d’agissements de tiers.

Le H3C indique sanctionner Mazars pour n’avoir pas assez bien surveillé nos risques sur les dossiers non EIP depuis 2010, faisant une généralité du cas particulier de FTL. Mazars audite des milliers d’entreprises partout dans le monde. Si nos procédures de qualité n’étaient pas appliquées, comme on nous le reproche, ce dossier ne serait pas un cas unique et exceptionnel dans notre histoire. Le H3C nous contrôle depuis 2010, chaque année. Peut-on vraiment croire qu’il aurait laissé un cabinet de la taille de Mazars se développer sans maîtriser ses risques alors que nous auditons 42 sociétés du SBF 120 ? Se serait-il contenté de simples recommandations d’amélioration dans un rapport ? Enfin, il nous est difficile de comprendre pourquoi le rapport d’enquête nous concernant ne mentionne à aucun moment le commentaire positif émis par les équipes de contrôle du H3C en 2015 dans leur rapport sur nos procédures de contrôle des risques : « Depuis le précédent contrôle, la procédure relative au suivi des mandats risqués a été fiabilisée pour le secteur OMB (Owner Managed Businesses) [c’est-à-dire non-EIP], la fonction Ethic & Acceptance effectuant depuis 2014 un recensement des mandats risqués et un suivi des changements de niveau de risque d’un exercice à l’autre.» ?

Nous avons toujours porté la plus grande attention aux risques des clients et des missions dont nous avons la responsabilité, et nous avons toujours mis en œuvre l’ensemble des procédures en conformité avec le code de déontologie, et en particulier avec l’article 15 sur l’indépendance et l’identification des risques.

Depuis la révélation de cette fraude en 2016, et après le choc lié à cette découverte, nous avons repassé au crible tous nos dossiers et toutes nos procédures, et encore renforcé nos mécanismes de contrôle de « second niveau », comme le contrôle qualité de la documentation de nos dossiers. Nous poursuivons ces efforts continuellement, parce que c’est dans notre ADN et que c’est aussi complètement en ligne avec ce que le marché attend de tout acteur leader et responsable

Personne morale, personne physique : redéfinir les responsabilités ?

Cette décision du H3C pose la question de la bonne distinction entre les responsabilités de la personne physique et de la personne morale. C’est un point essentiel dans toutes les entreprises mais plus encore dans l’audit où les professionnels commissaires aux comptes sont inscrits sur une liste sous le contrôle du H3C et signent de leur nom les rapports d’audit pour le cabinet. Dans cette affaire, la sanction d’interdiction d’exercer, même avec sursis, est très questionnable. Est-il juste de punir si sévèrement un cabinet reconnu pour sa qualité et ses quelque 250 associés, pour n’avoir pas identifié un problème, une fois en 75 ans d’existence ? Dans beaucoup de pays, l’interdiction d’exercer ne vise que les associés signataires : ne faut-il pas harmoniser ces régimes de sanction dans un métier qui est devenu mondial ?

Pour l’ensemble de ces raisons, Mazars devrait dans les jours qui viennent former un recours contre la décision de sanction du H3C auprès du conseil d’état.

Punir l’auditeur avant les fraudeurs ?

Ce dossier appelle également un débat de l’ensemble de la profession sur le rôle des auditeurs dans la détection des fraudes. Mazars s’estime avoir été trompé par cette fraude massive et en bande organisée, comme d’autres d’ailleurs dans ce dossier, qui n’ont pas non plus identifié les anomalies dans leurs contrôles.

Aujourd’hui le commissaire aux comptes a seulement une obligation de détecter et de révéler la fraude dans le cadre de sa mission générale, mais il n’a pas pour mission de la rechercher – et n’en a d’ailleurs pas les moyens dans le cadre des dispositions actuelles. Nous n’avons pas de mission en ce sens et encore moins de pouvoir de police pour le faire (et en cela le terme de « commissaire aux comptes » est trompeur). Faut-il changer le périmètre de notre mission à l’avenir ? Faut-il étendre notre rôle et nos moyens en y incluant des travaux d’investigation poussés (de type forensic) et les entreprises sont-elles prêtes à en supporter le coût ? C’est un des débats, déjà bien avancé dans certains pays comme le Royaume-Uni, pour le futur de la profession.

Des questions pour la profession

Le recours que nous formerons permettra également de poser deux questions qui intéressent vivement l’ensemble de la profession.

La première est de mieux comprendre les règles de droit qui entourent cette nouvelle procédure de sanction du régulateur. Le dossier FTL était une « première » pour le H3C dans sa nouvelle formation, et chacun, régulé comme régulateur, aura appris de cette première expérience ; un retour d’expérience sera utile à l’ensemble de la profession. 

La seconde, c’est la question de l’interprétation des normes d’audit. Le régulateur a compétence pour déterminer les normes d’audit mais, au-delà des normes, leur interprétation est un sujet clé qui doit se discuter avec l’ensemble de la profession. Nous ressentons un écart grandissant entre les attentes du régulateur et la réalité du terrain, celle que nous vivons au quotidien dans l’exercice de nos missions. La dernière campagne de contrôle du H3C, menée sur l’ensemble de la profession en France, a conclu que 60% des dossiers contrôlés n’étaient pas « satisfaisants » au regard des attentes du régulateur sur l’application des normes d’audit.

Nous ne pouvons pas rester avec ce constat car il en va de la confiance des marchés. Nous appelons donc à un débat sur ce sujet avec le régulateur et les professionnels mais aussi avec les émetteurs et les pouvoirs publics.

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