Lehman Brothers : 10 ans après

Le 19 septembre 2018 |
Pour la communauté financière mondiale, le 15 septembre 2008 constitue une date clé tout aussi emblématique que le fut en son temps le 24 octobre 1929. À l’instar du jeudi noir, la faillite de Lehman Brothers a marqué le point de départ d’une nouvelle ère, caractérisée par de profondes évolutions technologiques et réglementaires visant à renforcer la sécurité et la stabilité financières et bancaires mondiales.

Une nécessaire re-réglementation pour restaurer la confiance

La chute de Lehman Brothers a mis fin à un cycle initié dans les années 70 au cours duquel la finance et les métiers de la banque bénéficiaient de la déréglementation, c’est-à-dire d’un ensemble d’actions visant à alléger le poids des réglementations alors en place. Les événements de septembre 2008 ont ainsi ouvert la voie à ce que certains appelleront plus tard le tsunami ou l’avalanche réglementaire. En effet, alors que la vague de déréglementation s’est étalée sur quarante ans, il n’aura pas fallu dix ans pour analyser, débattre, voter et mettre en œuvre des centaines de milliers de pages de lois, doctrines et autres textes juridiques.

Ce cadre légal, plus strict et plus juste, a vocation à protéger et à éviter qu’une crise mondiale n’ait à nouveau lieu. C’est pourquoi les régulateurs ont exigé des établissements de crédit à la fois un renforcement de leurs capitaux propres, une réduction des risques de liquidité ainsi que davantage de transparence quant à trois volets : l’information financière, la gestion des rémunérations et la conduite des affaires. Autant d’exigences visant à restaurer la confiance, améliorer la résistance et la résilience du système bancaire et financier, mais également à rompre, autant que possible, le lien entre États souverains et banques.

Un banquier dont le rôle a évolué

Alors oui, dix après la chute de Lehman Brothers, les banques ont changé. Elles doivent dorénavant évaluer, mesurer et rendre compte des risques qui, avant septembre 2008, n’étaient que peu considérés. Effectivement, sous l’impulsion conjuguée des technologies de rupture et de l’émergence de nouveaux business models, la marche des affaires a évolué et prend aujourd’hui en considération les exigences et risques inhérents à ce nouveau paradigme. C’est pourquoi le banquier de 2018 est bien différent de celui de 2008.

Toutefois, force est de constater que les grandes banques systémiques sont toujours aussi présentes et toujours aussi grosses, si ce n’est encore plus aujourd’hui qu’hier. Et pour cause, les textes internationaux votés ne sont pas tous appliqués et donnent parfois lieu à des interprétations régionales. La mise en application et le contrôle de ces nouvelles réglementations sont restés laborieux compte tenu de la complexité des textes : un effet qui pourrait bien créer de nouvelles zones de risques.

En outre, ces écrits datent déjà d’une décennie puisqu’ils ont été pensés et formalisés en réponse aux crises passées, dans un contexte radicalement différent de par la place qu’occupaient les technologies, pour certaines à l’époque encore à leurs prémices dans le secteur bancaire et financier. Pour situer, la crise de 2008 a eu lieu un an seulement après le lancement du premier iPhone d’Apple et la même année que l’apparition de Google Chrome. Une autre époque.

Sécuriser les données : un chantier de taille pour les régulateurs

En dix ans, des risques d’un nouveau genre sont apparus au regard de l’évolution rapide des technologies et de la masse de données générée. Les robots et algorithmes ont par ailleurs investi le monde de la banque au point de disrupter le marché avec l’apparition de business models innovants et, entre autres, des néo-banques. C’est pourquoi le risque lié à la qualité et à l’intégrité des données ainsi qu’à la sécurité des informations transitant par les réseaux n’a cessé de croître au point de devenir un enjeu de taille. Pour les banques certes, mais plus généralement pour toutes les organisations.

Alors que les préoccupations liées à la donnée ne faisaient pas partie des sujets prioritaires à l’heure de la faillite de Lehman, il est manifeste que la data constitue aujourd’hui un risque dont les conséquences systémiques sont bien réelles. Si la cyber régulation occupe une place grandissante dans l’écosystème financier, son niveau de coordination et de coopération à l’international est cependant encore perfectible, très loin des synergies internationales concernant la solvabilité ou la liquidité. Tirer les leçons du passé et prendre en compte les risques du présent pour imaginer le futur, c’est aussi cela le rôle du régulateur.

Article paru dans Les Echos

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