L’IA n’est pas le « Big Bang » que l’on décrit

Le 06 novembre 2023 |
La révolution de l'IA n'en est pas une : il y a un véritable décalage entre le « Big Bang » que l'on décrit et les changements effectifs que l'IA induit au sein des entreprises. L'intelligence artificielle a en réalité effectué ses premiers pas il y a déjà plus de dix ans et généré des mutations que nous commençons tout juste à percevoir à grande échelle.

La véritable révolution est en effet une révolution de perception : c'est la conscience que nous avons du potentiel transformateur de l'IA, nourrie par l'effervescence médiatique, qui change désormais notre rapport à cette technologie. La couverture médiatique autour de l'IA est l'illustration d'un phénomène qui arrive à la conscience collective et qui crée un choc des perceptions.

Cette agitation médiatique ne doit cependant pas alimenter le fantasme d'une métamorphose kafkaïenne à la faveur de l'IA. Bien au contraire, les modulations générées par l'IA au sein des organisations seront sans doute lentes, hésitantes, trébuchantes, autant que profondes et durables.

La frénésie du monde du travail

Nombreux sont nos angles morts sur l'incidence de l'IA : elle ira s'immiscer à des endroits que l'on n'attend pas, à des moments qu'on ne devine pas. Surtout, elle sera profondément dépendante des usages qu'on en fait : voilà notre point aveugle et ce avec quoi les entreprises doivent actuellement composer. Le monde du travail s'efforce ainsi d'accélérer ses usages de l'IA pour n'être pas pris au dépourvu. On observe une véritable frénésie et l'envie de créer des « suppléments d'IA » de toutes parts, dans les offres et les modèles de fonctionnement. L'IA peut alors s'introduire dans de nombreuses organisations directement par les outils sans que celles-ci s'en rendent compte.

Aujourd'hui par exemple, la gestion de la relation client fonctionne de pair avec l'IA, avec des algorithmes suggérant désormais à l'opérateur quel type d'action mener sur tel ou tel client, selon son historique d'achats. D'autres organisations se font tout juste à l'idée d'entamer leur mue ou de poursuivre leur transition vers l'IA, mais manquent encore férocement de mode d'emploi pour y parvenir.

L'IA crée donc une zone d'inconfort par nature, en particulier chez les décisionnaires. Le risque pour un dirigeant serait de tomber dans un double écueil. Soit celui de la précipitation : effectuer le virage de l'IA trop brutalement, sans y préparer suffisamment ni les équipes ni l'entreprise, et exacerber l'angoisse autour de son avènement.

Jeu d'équilibriste du dirigeant

Soit celui du déni : mésestimer la rupture de paradigme créée par l'IA, et manquer, de la même manière, à faire évoluer l'entreprise et ses collaborateurs. Le dirigeant doit donc se prêter à un jeu d'équilibriste. Tout l'enjeu pour lui est de créer les conditions pour que les collaborateurs apprivoisent l'IA, s'y accoutument et se l'approprient, tout en sachant que son intégration sera lente et fluctuante, mais indispensable. En d'autres termes, mettre cette technologie à disposition des collaborateurs en même temps que d'amener les collaborateurs vers cette technologie. Loin de ne concerner qu'une frange des équipes, l'IA doit être une éducation pour tous à l'échelle de l'entreprise. Sa vocation est d'irriguer chaque parcelle de l'organisation, chaque métier, chaque génération, sans distinction.

La responsabilité du dirigeant est donc d'offrir aux collaborateurs les chances de saisir l'opportunité de progrès qu'est l'IA, pour grandir avec elle et non malgré elle. Elle changera moins nos métiers que nos manières de l'exercer, dans une transition douce, durable, guidée par l'entreprise et la curiosité de chacun.

Article paru dans Les Echos

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