Flash BankNews n°80 | Nouveau règlement instaurant un régime pilote reposant sur la technologie blockchain

Le nouveau règlement européen, publié au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) le 2 juin dernier, met en place une expérimentation permettant de développer des marchés secondaires de titres financiers inscrits sur une technologie de registres distribués (DLT pour « Distributed Ledger Technology »). Le texte entrera en application le 23 mars 2023.

Ce règlement permet aux participants de demander des exemptions ciblées aux directives MIF 2 et Finalité[1] et au règlement CSDR (« Central Securities Depositories Regulation ») afin de faciliter l’utilisation de la technologie blockchain dans ce domaine.

Ce régime pilote s’appliquera pour une durée minimale de trois ans au terme de laquelle la Commission européenne devra proposer son arrêt, sa reconduction pour une autre durée de trois ans ou bien sa pérennisation en le faisant rentrer dans le droit commun.

Ce Flash Bank News a pour objectif de décrire les grandes lignes de ce nouveau règlement en exposant les principales exemptions que peuvent demander les infrastructures de marché DLT.

Champ d'application

Le règlement dispose que seulement trois acteurs ont vocation à intégrer le régime pilote :

  • les systèmes multilatéraux de négociation DLT (SMN DLT) : il s’agit d’un SMN au sens de la directive MIF 2 sur lequel sont admis à la négociation seulement des instruments financiers inscrits en blockchain (aussi appelés security tokens).
  • les systèmes de règlement DLT (SR DLT) : il s’agit d’un système de règlement-livraison qui dénoue des opérations relatives à des security tokens.
  • les systèmes de négociation et de règlement DLT (SNR DLR) : Ce nouvel acteur combine à la fois les services d’un SMN DLT et d'un SR DLT. Ces acteurs sont donc autorisés à fournir des services de négociation mais aussi de règlement-livraison sur security tokens, ce qui est normalement impossible dans le monde de la finance traditionnelle.

Concernant les produits, le règlement prévoit que seulement certains instruments financiers DLT respectant des plafonds d’émission ou de négociation rentre dans son champ d’application :

Actions

L’émetteur doit avoir une capitalisation boursière ou une capitalisation boursière provisoire inférieure à 500 millions d’euros.

Obligations

Le volume d’émission ne peut pas excéder 1 milliard d’euros.

Parts ou actions d’OPC (« Organisme de Placement collectif »)

La valeur de marché des actifs sous gestion doit être inférieure à 500 millions d’euros. Cela exclue donc du champ d’application du règlement les Fonds d’Investissement Alternatifs (FIA).

En plus des conditions relatives aux acteurs et aux produits, un plafond de négociation et d’enregistrement au sein des infrastructures DLT s’applique. Il en résulte que la capitalisation boursière maximale d’une infrastructure de marché DLT est fixée à 6 milliards d’euros.

Agrément des infrastructures de marché DLT

Pour intégrer le régime pilote, les infrastructures de marché DLT devront (i) demander une autorisation spécifique, (ii) respecter certaines obligations spécifiques et (iii) se plier à toutes mesures compensatoires que l’autorité nationale compétente jugera appropriées (le présent règlement renvoie le soin à l’ESMA d’établir des lignes directrices sur ce sujet).

Toute demande d’exemption devra être proportionnée à l’utilisation faite de la DLT et justifiée par celle-ci.

Une demande d’autorisation spécifique d’exploiter une infrastructure de marché DLT devra contenir les informations suivantes :

1. Le plan d’affaires du demandeur, les règles de    l’infrastructure et toutes dispositions juridiques de l’article 7, paragraphe 1 du règlement ainsi que les informations relatives au fonctionnement, aux services et aux activités du l’infrastructure ;

2. Une description du fonctionnement de la DLT utilisée ;

3. Une description de l’ensemble des dispositifs informatiques et de cybersécurité du demandeur ;

4. La preuve que le demandeur a mis en place des garanties prudentielles suffisantes pour honorer ses engagements et indemniser ses clients ;

5. Une description des dispositifs mis en place pour la conservation des instruments financiers DLT des clients ;

6. Une description des dispositifs adoptés pour garantir la protection des investisseurs et une description des mécanismes de traitement des plaintes des clients et des recours ;

7. La stratégie de transition du demandeur ;

8. Les exemptions demandées par le demandeur ainsi que la justification fournie pour chaque exemption demandée et les mesures compensatoires éventuelles proposées mais aussi les moyens par lesquels le demandeur envisage de respecter les conditions dont sont assorties ces exemptions.

L’autorité compétente aura 30 jours ouvrables pour évaluer la complétude de la demande et 90 jours ouvrables pour procéder à l’évaluation du dossier afin de décider si elle accepte ou non l’autorisation de créer une infrastructure de marché DLT. De plus, l’AMF devra informer dans les plus brefs délais l’ESMA de l’octroi, du refus ou bien du retrait d’une autorisation.

L’ESMA publiera sur son site internet la liste des infrastructures de marché DLT, ainsi que notamment les dates de début et de fin de leurs autorisations spécifiques, la liste des exemptions accordées à chacune d’entre elles.

L’autorité nationale compétente pourra refuser d’accorder une demande d’autorisation lorsqu’il existe des risques importants pour la protection des investisseurs, l’intégrité des marchés ou encore la stabilité financière. L’autorité pourra également refuser l’autorisation en cas de tentative de contournement de la réglementation ou encore si le demandeur ne semble pas apte à respecter la réglementation lui étant applicable.

L’agrément en tant qu’infrastructure de marché DLT entraine l’obtention d’un passeport européen permettant des services dans l’ensemble de l’Union européenne.

Obligations communes à l’ensemble des infrastructures DLT

En plus du respect des exigences de MIF 2 et du règlement CSDR, ce règlement pose des obligations communes à l’ensemble des infrastructures DLT. En ce sens, les grandes obligations qui devront être respectées sont les suivantes :

  1. Etablir des plans d’affaires clairs et détaillés décrivant la manière dont l’infrastructure entend fournir leurs services et exercer leurs activités ;
  2. Fixer ou documenter les règles applicables au fonctionnement de la technologie des registres distribués utilisée ;
  3. Fournir aux membres, participants, émetteurs et clients de l’infrastructure, sur le site internet, des informations claires et non ambiguës sur la manière dont les exploitants exercent leurs fonctions, leurs services et leurs activités ;
  4. Veiller à ce que l’ensemble des dispositifs informatiques et de cybersécurité liés à l’utilisation de la DLT soit proportionné à la nature, à la taille et à la complexité de leurs activités ;
  5. Ségréger les éléments conservés pour le compte de tiers des actifs pour compte propre ;
  6. Mettre en place un dispositif de protection contre les risques pouvant induire une perte des actifs conservés ;
  7. Etablir des mécanismes de traitement des réclamations ;
  8. Adopter une stratégie de transition en cas de basculement des activités d’une infrastructures opérant sur DLT vers une infrastructure de droit commun.

Exemptions possibles grâce au régime pilote

Les infrastructures de marché éligibles au régime pilote pourront demander d’être exonérées de certaines obligations qui devraient leur être applicables normalement. Elles sont précisément visées dans le texte du régime pilote et elles correspondent aux dispositions identifiées comme étant un frein à l’admission des security tokens sur les plateformes de négociations.

En ce qui concerne les SMN DLT, les exceptions possibles sont les suivantes :

  • Exemption relative à l’obligation d’intermédiation que prévoit la directive MIF 2. Cela permet d’admettre directement des personnes physiques et morales en tant que membres ou participants sous certaines conditions.
  • Exemption relative à l’obligation de déclaration des transactions effectuées sur un SMN. Cependant, ce dernier devra conserver les détails pertinents de l’ensemble des transactions exécutées par l’intermédiaire de ses systèmes.

En ce qui concerne les SR DLT, les exceptions possibles sont les suivantes :

  • Exemption au règlement des instruments financiers en monnaie banque centrale. Le régime pilote ouvre la voie à un basculement des paiements par le biais de comptes ouverts dans les livres banques centrales vers des règlements effectués en monnaie émise directement sur la blockchain.
  • Exemption relative au caractère définitif du règlement. Il convient que l’infrastructure propose des mesures compensatoires afin d’atteindre les objectifs prévus. L’infrastructure devra garantir a minima le règlement des transactions en quasi-temps réel, au plus tard le deuxième jour ouvrable suivant la conclusion de la transaction.
  • Exemption relative à l’application de certains articles du règlement CSDR relatifs aux règles d’inscription comptable. Cela a pour but de permettre d’établir qu’une inscription sur la blockchain a la même valeur qu’une inscription sur un compte titre ou encore d’admettre la circulation, la conservation et le transfert de titres financiers via une DLT.
  • Exemption relative aux mesures destinées à prévenir et remédier aux défauts de règlement. Il convient que l’infrastructure garantisse la confirmation claire et précise des détails des transactions en DLT et qu’elle fasse en sorte de prévenir ou de traiter les éventuels défauts de règlement.
  • Exemption relative à l’externalisation des services de base d’un dépositaire central de titres.
  • Exemption relative à la définition des participants à un système de règlement-livraison.
  • Exemption aux règles de conduite des activités.

En ce qui concerne les SNR DLT, ces derniers pourront demander les exemptions prévues à la fois pour les SMN DLT et les SR DLT.

Coordination sur le plan européen

Une fois les infrastructures de marché intégrées au régime pilote, ces dernières doivent coopérer avec les autorités compétentes qui ont octroyées les autorisations. Elles devront informer ces dernières en cas de :

  • Changement du modèle d’affaires ;
  • Changement majeur dans les informations fournies à l’autorité dans le cadre de l’autorisation ;
  • Dysfonctionnement, fraude, vol, perte ou cyberattaque ;
  • Difficultés techniques ou opérationnelles ;
  • Risques concernant la protection des investisseurs, l’intégrité des marchés ou la stabilité financière.

Par ailleurs, tous les 6 mois, les infrastructures de marché DLT devront remettre un rapport à l’autorité compétente dressant un bilan quantitatif des transactions effectuées ainsi qu’une évaluation des problématiques rencontrées et des mesures correctrices adoptées.

De plus, l’ESMA aura pour mission de contrôler l’application des exemptions accordées ainsi que les mesures compensatoires ou correctrices demandées dans le but de transmettre annuellement un rapport à la Commission européenne.

Les étapes nécessaires avant l’entrée en vigueur du règlement

Avant l’entrée en application du règlement, l’ESMA doit amender les RTS des règlements MIFIR et CSDR pour les adapter au régime pilote et publier différentes orientations. De leur côté, les États membres devront adapter leurs réglementations nationales en matière de droit des titres inscrits sur une DLT et désigner l’autorité compétente chargée d’octroyer les agréments et les exemptions.

Le présent règlement publié au JOUE le 2 juin 2022 est entré en vigueur le 22 juin de la même année. Il s’appliquera à partir du 23 mars 2023.

 Vous pouvez retrouver le texte intégral du règlement au Journal officiel de l’Union européenne : Publications Office (europa.eu).

ABREVIATIONS

JOUE : Journal Officiel de l’Union Européenne.

SNR DLT ou DLT TSS : Système de Négociation et de Règlement DLT ou DLT-based Trading and Settlement System.

FIA : Fonds d’Investissement Alternatif.

DLT : Distributed Ledger Technology

CSDR : Central Securities depositories Regulation.

AMF : Autorité des Marchés Financiers

SMN DLT ou DLT MTF : Système Multilatéral de Négociation DLT ou DLT-based Multilateral Trading Facilities.

MiFID : Market in Financial Instruments Directive.

MiFIR : Market in Financial Instruments Regulation.

RTS : Regulatory Technical Standards

SR DLT ou DLT SS : Système de Règlement DLT ou DLT-based Settlement System.

OPC : Organisme de Placement Collectif.

ESMA : European securities and Markets Authority.

[1]Directive 98/26/CE du Parlement européen et de Conseil du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres.