Holding et déduction de la TVA

Le 20 octobre 2022 |
Par un arrêt du 8 septembre 2022, la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé que la TVA encourue par une holding au titre de prestations de services rendues en échange d’une participation aux bénéfices de filiales rendant des activités exonérées n’est pas déductible (affaire C-98/21 Finanzamt R contre W GmbH).

La société holding W a rendu des prestations de services comptables à proportion de sa participation au bénéfice de 2 filiales exerçant des activités principalement exonérées de TVA. Afin de rendre ces services la holding a utilisé pour partie son propre personnel et a également acquis des prestations auprès de tiers sur lesquelles elle a encouru et déduit de la TVA.

Les juridictions de première instance ont admis la déduction de la TVA en affirmant que la fourniture de services de comptabilité et de gestion consiste en une immixtion dans la gestion de ses filiales à titre onéreux en ce qu’elle correspond à la contribution d’associée en nature, ce qui caractérise une activité commerciale au titre de la gestion de participations. La juridiction d’appel a cependant soulevé une question préjudicielle aux motifs que la holding serait dans l’impossibilité de déduire la TVA acquittée en amont parce qu’elle a acquis les prestations en amont pour les apporter aux filiales qui effectuent des opérations exonérées de sorte que ces prestations en amont ont un lien direct et immédiat avec des opérations en aval exonérées.

La juridiction de renvoi demande donc en substance à la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) si une holding est susceptible de déduire la TVA grevant les dépenses allouées aux activités des filiales en l’échange d’une participation aux bénéfices, et, dans l’affirmative, si une telle pratique devrait être qualifiée d’abus de droit dans la mesure où ces dépenses seraient utilisées principalement pour les besoins des activités exonérées des filiales.

Les conclusions de l’Avocat Général, M. Giovanni Pitruzzella, rendues le 3 mars 2022, indiquent que la TVA en amont correspondante à ces achats n'a pas pu être déduite pour les raisons suivantes :

  • Les services sur lesquels la TVA en amont est encourue sont directement et immédiatement liés non pas aux opérations propres de la société holding, mais aux activités (largement) exonérées d'impôt des filiales ;
  • Les services ne sont pas inclus dans le prix des opérations imposables (effectuées au profit des filiales).
  • Les services ne peuvent pas être considérés comme des frais généraux de la société holding.

En outre, l'avocat général a souligné qu'en l'espèce, la société holding a déduit la TVA en amont supportée sur les achats de services qui ont été revendus à ses filiales, alors que la TVA supportée sur l'acquisition de ces services directement par les filiales n'aurait pas été récupérable. Selon l'Avocat général, un tel schéma constituerait un abus de droit, même s'il peut être justifié par des raisons non fiscales, car le but essentiel de l'opération réside dans l'obtention d'un avantage fiscal.

La CJUE a suivi partiellement l’avis de l’Avocat général et a jugé que la holding n’était pas, dans le cas d’espèce, en mesure de déduire la TVA d’amont mais ne s’est pas prononcée sur l’existence ou non de pratiques abusives.

Les questions relatives à la déduction de la TVA au niveau des holdings génèrent régulièrement des vagues de jurisprudence du fait de la complexité des relations pouvant exister au sein des groupes et de l’intransigeance du principe de neutralité de la TVA.

La problématique soulevée par la juridiction locale s’inscrit dans cette lignée. La déductibilité de la TVA implique, en effet, que les dépenses doivent être affectées à des activités en aval soumises à TVA. Dans le cas présent, la CJUE a pris en compte l’utilisation des dépenses par les filiales et a interprété la notion de neutralité de manière extensive.

En effet, par principe, il convient de prendre en compte l’utilisation de la dépense par l’assujetti l’ayant exposé. En l’espèce, toutefois, la holding avait alloué ces dépenses aux besoins de prestations rendues à ses filiales en échange d’une participation aux bénéfices ; la holding n’a donc pas collecté de TVA à cet égard.

Par ailleurs, il ressort des faits exposés que les filiales ne réalisaient que des opérations bénéficiant d’une exonération de TVA. L’interposition de la holding, en cas de solution affirmative, aurait eu pour effet de détourner le principe de neutralité en maintenant une déductibilité sans collecte de TVA en aval. Par ailleurs, si les filiales avaient exposé directement les dépenses, elles n’auraient pu exercer de droit à déduction en vertu du principe de l’affectation.

La solution aurait peut-être été différente en cas d’inclusion de ces dépenses dans les prestations de services facturées par la société holding à ses filiales et soumises à la TVA. En effet, une telle situation semble couverte par le principe de l’immixtion dans la gestion des filiales, reconnu par les jurisprudences Larentia Minerva comme permettant le droit à déduction des dépenses correspondantes.

Par cette réponse négative, la Cour élude la seconde question posée et ne fournit pas de précision quant à la caractérisation d’un abus de droit fiscal dans la situation d’espèce. Il aurait été, cependant, aisé pour cette dernière de conclure que la comptabilisation d’une TVA déductible par la holding constituait une pratique abusive, ce qui aurait exposé cette dernière à de fortes pénalités.

Si le silence de la Cour ne permet en rien de présager du jugement de l’affaire par les juridictions locales, une réponse spécifique sur cet aspect aurait néanmoins jeté un froid dans l’univers des holdings. En effet, d’un point de vue français, les pénalités applicables en cas d’abus de droit peuvent s’étendre jusqu’à 80% du montant redressé et s’accompagner d’une transmission directement au parquet. Caractériser un abus de droit fiscal sur la base d’un tel schéma aurait ainsi pu ouvrir la porte à des qualifications similaires en cas de déduction de TVA non justifiée.

Cela étant, la problématique de rémanence de TVA d’amont pesant sur les holdings est une situation malheureusement classique qui va souvent de pair avec une charge importante de taxe sur les salaires. Des solutions existent néanmoins, s’appuyant sur une combinaison de principes doctrinaux et jurisprudentiels, permettant, le cas échéant, de qualifier une opération financière d’accessoire, de réduire l’assiette de taxe sur les salaires en créant une sectorisation ou de déterminer un coefficient d’assujettissement sur des critères physiques. L’enjeu étant, dès lors, non pas d’éluder complètement la charge fiscale, mais de réduire l’impact de celle-ci sur la trésorerie des holdings.

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