DAF et développement durable : quels rôles et défis ?

Le 28 novembre 2022 |
La réglementation verte s’invite dans les entreprises et impulse un choix au combien stratégique : adapter ou changer le modèle d’affaire des sociétés. La Finance a un rôle à jouer pour déployer le nouveau business model avec l’aide des Directions Développement Durable, des Achats et du Marketing. Quels sont les défis posés par la réglementation verte et quels rôles pourraient jouer les DAF dans le déploiement de l’intégration du développement durable au business model de leur entreprise ?

Les années 2020 verront la naissance de plusieurs normes pour encourager les comportements durables, comme la taxonomie Verte, la NFRD1 et la CSRD2, applicables aux grandes entreprises. D’ici à 2027, plusieurs dizaines de milliers de sociétés françaises seront concernées par ces nouveaux textes. L’ambition est d’avoir un corpus de règles plus complètes et inclusives mais également plus contraignantes et techniques. Les dirigeants ont quelques mois pour se former et être pédagogues au sein de leurs organisations et auprès de toutes les parties prenantes : un travail titanesque pour certains, une aventure passionnante pour d’autres. Dans tous les cas, le dirigeant aura plus que jamais besoin des fonctions support pour donner le rythme de la transformation dans leur firme.

Adapter ou changer le modèle d’affaires

Dans le cadre de son plan stratégie d’attribution des fonds européens, l’Europe a défini 5 priorités sur la période 2021-2027, notamment celle liée au Développement Durable : une Europe plus verte et à zéro émission de carbone (réduire ses émissions Carbone de 55% d'ici 2030 et être neutre en émission carbone à échéance 2050), qui met en œuvre l’accord de Paris et investit dans la transition énergétique, les énergies renouvelables et la lutte contre le changement climatique.

Tous les agents économiques sont et seront mobilisés : Etats, citoyens, organisations privées et publiques. Qu’en est-il pour les entreprises en 2022 ?

Aujourd’hui, deux types de sociétés cohabitent : celles qui ont un modèle d’affaire durable avec une raison d’être clairement définie... et toutes les autres !

  • Pour les premières dites « durables », les reporting extra-financiers sont a priori simples à établir.  
  • Pour les secondes, celles « en voie de durabilité », elles répondent aux attentes des normalisateurs et à celles des investisseurs via la DPEF3 par exemple. Elles rendent compte de leur stratégie RSE4 mise en œuvre au quotidien pour intégrer la durabilité à leurs activités. L’effort est notable mais ne sera plus suffisant dans les 5 prochaines années au vu des critères européens listés par l’EFRAG pour afficher un CA, des OPEX et des CAPEX alignés à la Taxonomie Verte Européenne.

L’Europe appelle à l’action et aux changements des pratiques souvent polluantes pour notre environnement. Une des clés de succès5 de la transformation d’une organisation est de prioriser son management sur la définition de sa stratégie long terme : travailler sa raison d’être, réfléchir aux profils adéquats de son équipe par rapport à ces nouveaux enjeux, et enfin adapter ou changer sa production et ses processus. L’heure est donc à la révision en profondeur des produits et prestations proposés au marché, de ses modes de production et bien sûr de connecter au pilier finance cette nouvelle ambition, structurée et synthétisée dans un business model canvas6.

Définir son modèle d’affaire et son évolution pluriannuelle est toujours une action stratégique ; chaque Financier détermine à fréquence régulière ses objectifs de croissance, sa rentabilité, son financement, son retour sur investissement. Il s’agira ensuite de compléter cette vision avec :

  • la double matérialité qui analyse à la fois l'impact des risques ESG7 sur l'entreprise et l'impact de la firme sur l’environnement
  • un plan d’action précis pour suivre la trajectoire et atteindre la cible stratégique définie
  • des outils pour faire l’état des lieux en 2022 et mesurer les impacts favorables obtenus

Il n’y a pas de transformation sans action concrète. Ainsi, le Financier peut se positionner comme chef d’orchestre en mobilisant à la fois les équipes et l’écosystème de l’entreprise avec le Business Model Canvas comme partition. Il aura de nombreux défis à relever. Il est possible d’en identifier 3 à court terme.

Défi n°1 : Créer un langage commun avec les autres fonctions support

La formation est un prérequis. Comprendre les normes financières et les appliquer font partie des prérogatives des Financiers. Et la connaissance des normes extra-financières est un moindre effort en comparaison à la compréhension du labyrinthe de règlementations souvent applicables à chaque secteur d’activité. Dans le même temps, le Financier doit se familiariser à l’analyse du cycle de vie de la production pour identifier les inducteurs de durabilité et être en mesure de croiser son expertise avec celles des ingénieurs.

Ainsi, le Financier aura un rôle pédagogique vis-à-vis des métiers et des autres fonctions supports (Marketing, Achats, Informatique, Développement Durable..) et lui confèrera un début de légitimité sur la coordination des travaux de reporting et le pilotage (via son business model canvas) de la trajectoire de neutralisation des externalités négatives et de l’augmentation des externalités positives.

Défi n°2 : Mobiliser son écosystème

Communément, le business model canvas est structuré en 5 piliers :

  1. le segment client
  2. la proposition de valeur et les activités clés
  3. les canaux de distribution
  4. les ressources et les partenaires clés
  5. les revenus attendus et la structure de coûts.

Chacun de ses piliers renvoie à un partenaire de l’écosystème : les clients, les partenaires logistiques (acteur clé de la mobilité), les fournisseurs et sous-traitants, et les investisseurs.

Généralement, la décarbonation d’une activité débute par les « Achats » car c’est un levier à la main des managers, facilement actionnable compte tenu de la position de force vis-à-vis du fournisseur. Concrètement, 3 actions sont aujourd’hui plébiscitées : la mise en place d’une politique d’achat responsable, la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement, la sélection de fournisseurs déjà Green et un suivi strict des engagements pris via des audits.

La mission semble plus ardue avec les clients. Il faut questionner le besoin des utilisateurs, innover, transformer la marchandise ou la prestation dite « polluante » (contrainte) en business durable (opportunité), puis convaincre le marché. Les ingénieurs aidés des directions commerciales et marketing œuvrent généralement au quotidien pour prendre la trajectoire durable. La fonction Finance peut néanmoins challenger leur vision.

Pour éviter de limiter le Financier à un rôle de journaliste, la clé est de mobiliser les fonctions support et questionner la corrélation entre leurs actions quotidiennes, la cible définie et les impacts financiers et extra-financiers.

Défi n°3 : Eviter le green washing extra-financier

Ainsi, le Financier doit être au fait des actions en cours et traduire ces initiatives dans les budgets et les reportings extra-financiers pour répondre à 3 grands enjeux : soutenir les investissements, défendre la performance des activités dites non durables (sinon pourquoi les maintenir ?) et convaincre de la pérennité des activités durables.

La communication sera donc essentielle à condition de ne pas verdir des activités polluantes, 2 règles sont à respecter pour éviter le green washing. La première est d’utiliser des indicateurs facilement traçables par des Organismes Tiers Indépendants, des agences de notation ou via des technologies « nouvelles générations » comme la blockchain. La seconde consiste à justifier les évolutions de ces indicateurs régulièrement, de période en période, pour afficher une performance extra-financière cohérente avec la stratégie RSE annoncée.

Pas de doute, l’avenir sera passionnant pour les Financiers à condition d’être acteur de la transformation et de saisir toutes les opportunités ou contraintes pour contribuer à rendre le monde moins carboné.

1NFRD - Non Financial Reporting Directive

2CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive

3DPEF – Déclaration de Performance Extra-Financière

4RSE - Responsabilité Sociétale des Entreprises

5L'éternité en héritage - Enquête sur les secrets de la résilience des organisations - Alain Bloch, Isabelle Lamothe (2014)

6Business Model Nouvelle Génération - Alexander Osterwalder et Yves Pigneur (2011)

7ESG - Environnementaux Sociaux et Gouvernance

Article initialement paru dans Finance & Gestion DFCG

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