Comprendre la délégation d’exécution matérielle

Le 22 novembre 2022 |
La loi ne reconnait que deux types de délégations dans le cadre des augmentations de capital immédiates ou à terme de société par actions : la délégation de pouvoir (article L.225-129-1 du Code de commerce) et la délégation de compétence (article L.225-129-2 du Code de commerce). Néanmoins, la pratique a développé une autre forme de délégation, plus limitée et encore méconnue, généralement appelée délégation « d’exécution matérielle ». La doctrine ne s’est pour l’instant que peu penchée sur le sujet des délégations d’exécution matérielle. L’enjeu est ainsi d’en déterminer les contours et d’en illustrer les intérêts pratiques, mais également les limites.

Délégations prévues légalement (de pouvoir et de compétence)

Afin d’évoquer les particularités de la délégation d’exécution matérielle, il convient tout d’abord de rappeler rapidement les définitions et les distinctions des formes de délégation prévues légalement.

Délégation de compétence

La délégation de compétence, prévue par l’article L.225-129-2 du Code de commerce, permet à l’assemblée de déléguer sa compétence pour décider de l’opportunité même de l’émission et d’en fixer toutes les modalités. Il s’agit donc de la forme de délégation la plus large, puisque l’organe bénéficiant de la délégation a notamment la possibilité de ne pas utiliser la délégation, ou de l’utiliser en une ou plusieurs fois. La seule contrainte fixée par la loi concerne l’obligation pour l’assemblée de fixer un plafond global d’augmentation de capitalet une durée ne pouvant excéder 26 mois(cette durée ne s’appliquant qu’à la décision d’émission, sa réalisation pouvant, elle, intervenir dans les cinq ans3).

Délégation de pouvoir

La délégation de pouvoir, prévue par l’article L.225-129-1 du Code de commerce, permet à l’assemblée de déléguer son pouvoir pour décider de tout ou partie des modalités de l’émission. Ainsi, dès lors que l’assemblée décide du principe de l’émission, il faut considérer qu’il s’agit d’une délégation de pouvoir et non d’une délégation de compétence, même si elle n’en fixe aucune des modalités. Il existe donc une grande variété de délégations de pouvoir, l’assemblée pouvant être directive et fixer la plupart des conditions de l’émission, ou au contraire laisser une grande liberté à l’organe bénéficiaire de la délégation4.

Délégation dite « d’exécution matérielle »

Tentative de définition

Contrairement aux délégations de compétence et de pouvoir, la délégation dite « d’exécution matérielle » n’est prévue par aucun texte et ne résulte que de la pratique. A notre connaissance, la seule doctrine sur le sujet est celle de la CNCC5, qui définit ainsi la délégation d’exécution matérielle : « L’organe délibérant décide de l’émission et en fixe toutes les modalités, y compris le prix, d’émission, des actions et en délègue l’exécution matérielle à l’organe compétent ».

Pour la CNCC, une délégation d’exécution matérielle existe par exemple lorsque l’assemblée fixe toutes les conditions de l’émission et délègue tous pouvoirs pour : recevoir les bulletins de souscription, modifier les dates d’ouverture et de clôture, recueillir les souscriptions et versements, procéder au retrait des fonds, constater la réalisation définitive de l’opération, modifier les statuts ou encore accomplir les formalités. La délégation d’exécution matérielle se distinguerait donc des délégations de compétence et de pouvoir dans la mesure où son bénéficiaire n’aurait qu’un rôle d’exécution et non pas de décision.

Distinction avec la délégation de pouvoir

En l’absence d’existence légale et du fait du peu de doctrine sur le sujet, les contours de la délégation d’exécution matérielle restent cependant assez subjectifs.

Un praticien plus rigoriste pourrait par exemple considérer que, contrairement à la position de la CNCC, la modification de la date d’ouverture de la souscription ne devrait pas être permise au bénéficiaire, sous peine que la délégation ne soit en réalité une délégation de pouvoir. Un praticien encore plus rigoriste pourrait même considérer que ce type de délégation n’existe tout simplement pas en l’absence de base légale : il s’agirait en réalité d’une forme de délégation de pouvoir dans laquelle l’assemblée se montre particulièrement précise et fixe toutes les modalités de l’émission, ne délégant que son pouvoir pour l’exécuter et la constater.

Intérêt du recours à la délégation d’exécution matérielle

Le principal recours à la notion de délégation d’exécution matérielle est en pratique de simplifier la documentation requise. En effet, outre les rapports de l’organe dirigeant et, le cas échéant, du commissaire aux comptes (notamment en cas de suppression du droit préférentiel de souscription ou d’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital), devant être remis à l’assemblée, lorsque l’organe bénéficiaire d’une délégation de compétence ou de pouvoir en fait usage, il doit établir un rapport complémentaire, présenté à l’assemblée générale ordinaire (ou consultation des associés) suivante, afin de rendre compte de son exécution6.

Au contraire, en présence d’une délégation d’exécution matérielle, « s’agissant uniquement d’exécuter matériellement les décisions de l’organe délibérant », ce rapport complémentaire n’aurait pas à être établi, selon la CNCC. Cette position semble cohérente si l’on considère que toutes les modalités de l’émission ont été figées dès l’assemblée. En effet, le contenu du rapport complémentaire porte sur les « conditions définitives de l'opération établies conformément à l'autorisation donnée par l'assemblée »7. Ces conditions ayant été, en principe, entièrement fixées par l’assemblée, ce rapport n’aurait aucune utilité pratique.

La délégation d’exécution matérielle apparait ainsi comme une alternative présentant un intérêt certain, dès lors que toutes les conditions et modalités de l’émission peuvent être figées dès l’assemblée. On pense en particulier aux émissions de valeurs mobilières donnant accès au capital immédiatement ou à terme pour lesquelles les souscriptions interviennent immédiatement (au jour de l’assemblée), cas de figure se présentant fréquemment, notamment lors d’opérations de LBO8. Elle permet en effet de simplifier la documentation requise et d’éviter tout oubli. En effet, l’obligation d’établissement du rapport complémentaire pouvant intervenir plusieurs mois après l’assemblée, il peut arriver en pratique que le rapport ne soit jamais établi, en particulier lorsque le conseil en charge de l’opération n’a pas la charge du suivi juridique de la société concernée.

Conclusion et points d’attention

Bien que la logique justifiant l’existence et le recours à la délégation d’exécution matérielle ne manque pas de cohérence, son absence de base légale en fait un outil à n’utiliser que sous certaines conditions et réserves.

Tout d’abord, afin de limiter le risque de confusion avec une délégation de pouvoir, il convient de s’assurer que toutes les modalités de l’émission soient effectivement fixées par l’assemblée.  Ensuite, ne devraient être déléguées que les tâches relevant véritablement d’une simple exécution : la réception des bulletins de souscription, la constatation de la clôture anticipée, le recueil des souscriptions et versements, le retrait des fonds, la modification des statuts ou encore la réalisation des formalités. En revanche, il est préférable de ne pas viser les pouvoirs pouvant prêter à discussion, comme la possibilité de modifier l’ouverture de la période de souscription.

Quoi qu’il en soit, le praticien devra garder à l’esprit que ce type de délégation n’étant pas légalement prévu, tout risque ne saurait être exclu. Ainsi, un associé pourrait tout à fait estimer qu’une délégation qualifiée « d’exécution matérielle » était en réalité une délégation de pouvoir et demander communication du rapport complémentaire9. Par ailleurs, le non-respect des dispositions de l’article L.225-129-5 est sanctionné par la nullité facultative10.

1Article L.225-129-2, alinéa 1 du Code de commerce.

2Article L.225-149-3, alinéa 2 du Code de commerce.

3Article L.225-129 du Code de commerce.

4A noter que, contrairement à la délégation de compétence, la loi ne prévoit pas de limitation de durée concernant la délégation de pouvoir. En revanche, l’émission doit toujours être réalisée dans les cinq ans de l’assemblée.

5CNCC « Les Interventions du commissaire aux comptes relatives aux opérations concernant le capital social et les émissions de valeurs mobilières, Tome 3 – Augmentation du capital par émission d’actions ordinaires avec suppression du droit préférentiel de souscription » 1.24.1, page 45.

6Articles L. 225-129-5 et R.225-116 du Code de commerce.

7Article R.225-116 Code de commerce.

8Dans cette hypothèse, il peut également être envisagé de se passer de toute délégation, en procédant à une suspension de séance pendant laquelle les souscriptions sont reçues, puis de reprendre la séance et de constater la réalisation de l’émission.

9Au terme d’une injonction de faire, conformément à l’article L. 238-1 du Code de commerce.

10De sorte que le juge saisi d'une demande de nullité reste libre d'apprécier l'opportunité de cette sanction. Etant précisé que cette nullité peut être couverte.

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