Caractérisation d’un établissement stable TVA : une notion en constante évolution

Le 17 mai 2022 |
La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE » ou « la Cour ») dans l’affaire Berlin Chemie A. Menarini SRL (CJUE, 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini SRL, C-333/20) a rendu le 7 avril 2022 un arrêt très intéressant concernant la notion d’établissement stable au regard de la TVA.

Selon la Cour, la société allemande, Berlin Chemie AG, ne dispose pas en Roumanie d’un établissement stable TVA, par le biais de sa filiale établie localement, au motif que « les mêmes ressources humaines et techniques ne peuvent être utilisées en même temps pour rendre et recevoir des services » car cela signifierait que la filiale (établissement stable) serait réputée rendre des services à elle-même. Par cet arrêt, la Cour apporte ainsi une précision importante sur la notion d’établissement stable en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Dans un contexte jurisprudentiel où la sécurité juridique avait quelque peu souffert de la succession de principes européens tous plus difficiles à appréhender et à mettre en œuvre les uns que les autres, cette décision est la bienvenue.

Les faits en quelques mots

Berlin Chemie A. Menarini SRL, établie en Roumanie, et sa société mère Berlin Chemie AG, établie en Allemagne, ont conclu un contrat de prestations de services de marketing, de réglementation et de publicité en vertu duquel Berlin Chemie A. Menarini SRL devait fournir les services nécessaires pour promouvoir activement les produits de Berlin Chemie AG en Roumanie.

A cet égard, Berlin Chemie Roumanie avait considéré que le lieu de prestation de ces services de marketing, de réglementation et de publicité était situé en Allemagne dans la mesure où le preneur des prestations, Berlin Chemie AG, était établi en Allemagne. Berlin Chemie Roumanie a donc émis des factures sans TVA roumaine conformément aux dispositions de l’article 44 de la Directive TVA européenne 2008/08/EU.

L’analyse de l’administration fiscale roumaine fut quant à elle différente puisqu’elle considérait que Berlin Chemie AG disposait d’un établissement stable TVA en Roumanie par le biais de sa filiale. Par conséquent, l’administration roumaine était d’avis que les factures émises par Berlin Chemie Roumanie devaient comporter de la TVA Roumaine.

L’arrêt Berlin Chemie A. Menarini SRL : les apports et les contradictions

Interrogée sur la qualification d'établissement stable aux fins de la TVA, la Cour conclut que Berlin Chemie AG ne dispose pas d’un établissement stable en Roumanie au motif que les moyens humains et techniques nécessaires à la qualification d’un établissement stable ne peuvent pas être utilisés à la fois pour fournir et pour recevoir les mêmes services.

Au cas d’espèce, les services de marketing et de publicité fournis par la société roumaine apparaissaient comme étant reçus par la société allemande qui utilisait ses moyens humains et techniques situés en Allemagne pour conclure et exécuter les contrats de vente avec les distributeurs de ses produits pharmaceutiques en Roumanie.

A cet égard, la CJUE relève un point-clé en considérant que « les mêmes ressources humaines et techniques ne peuvent être utilisées en même temps pour rendre et recevoir des services » car une telle hypothèse conduirait à considérer que la filiale (établissement stable) est réputée se rendre des services à elle-même.

Pour arriver à une telle conclusion la Cour fait application des principes jurisprudentiels établis dans certaines de ses précédentes décisions, à savoir :

  • La notion d'établissement stable désigne tout établissement, autre que le siège de l'activité économique (…), qui se caractérise par un degré de permanence suffisant et une structure appropriée, en termes de ressources humaines et techniques, lui permettant de recevoir et d'utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement(1) ;
  • La notion d'établissement stable exige un minimum de substance, par le rassemblement permanent des ressources humaines et techniques nécessaires à la fourniture de services donnés(2);
  • La qualification d'établissement stable ne saurait dépendre uniquement du statut juridique de l'entité concernée et l'existence, sur le territoire d'un État membre, d'un établissement stable d'une société établie dans un autre État membre ne saurait être déduite du seul fait que cette société y possède une filiale(3).

Il y a toutefois un élément important à retenir dans cet arrêt, a priori en contradiction avec l'affaire Titanium(4) de 2021, selon laquelle il semblerait nécessaire que les ressources humaines soient des ressources humaines « en propre ». Au cas présent, la Cour indique ici que si cette notion de personnel propre n’est pas requise, « il est en revanche nécessaire que cet assujetti ait le pouvoir de disposer de ces moyens humains et techniques de la même manière que s’ils étaient les siens, sur le fondement, par exemple, de contrats de service (..) »(5).

En pratique

En conclusion, il semblerait que la question de l’établissement stable ne soit pas pour autant définitivement réglée par cet arrêt. En effet, une lecture a contrario de cet arrêt montre qu’une filiale peut être considérée comme l’établissement stable de sa société mère dans la mesure où la société mère disposerait de moyens alloués à ses propres opérations chez la filiale.

La grille de lecture n’est pour autant pas précisée afin de caractériser un établissement stable à savoir la nature des biens, le nombre des personnes, leur degré d’autonomie suffisant afin de caractériser cet établissement stable. 

En conséquence, cette décision montre parfaitement à quel point l'évaluation d'un établissement fixe est extrêmement subjective car liée à l'interprétation des faits et des circonstances.

Il convient donc de procéder à des analyses très précises de l’existence d’un établissement stable par le biais notamment d’une analyse fonctionnelle.

(1) Welmory, C-605/12 du 16 octobre 2014

(2) Planzer Luxembourg, C-73/06 du 28 juin 2007

(3) Dong Yang Electronics, C-547/18 du 7 mai 2020

(4) Titanium, C-931/19 du 3 juin 2021 - Un bien immobilier qui est loué dans un État membre, dans la circonstance où le propriétaire de ce bien ne dispose pas de son propre personnel pour effectuer les services liés à la location, ne constitue pas un établissement stable. (...).

(5) § 41 de l'arrêt Berlin Chemie C-333/20

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