S’ouvrir à l’intelligence collective pour tirer pleinement profit de la blockchain

Le 9 février 2021 |
Elle avait pourtant fait grand bruit. Annoncée comme la technologie qui révolutionnerait le monde, la blockchain était sur toutes les lèvres il y a quelques années. Une effervescence d’ailleurs fortement renforcée en juin 2019 par l’annonce du projet de cryptomonnaie de Facebook qui, en 2021, n’est toujours pas lancé. Si des cas d’usage très concrets de la blockchain ont vu et continuent de voir le jour, la vraie révolution n’a cependant pas encore eu lieu. Pourtant, en renforçant la transparence donc la confiance, la blockchain est bel et bien en passe de devenir, à terme, le partenaire de premier plan des démarches d’innovation responsable. En 2021, où en est cette technologie ? A quels nouveaux défis fait-elle aujourd’hui face ?

En 2021, toutes les conditions nécessaires à l’essor de la blockchain sont réunies

Trop souvent associée et réduite aux seules cryptomonnaies, concrètes pour le grand public, la blockchain s’est en réalité fortement développée au sein des entreprises au cours des dernières années. Aujourd’hui, elle émerge peu à peu sous un nouvel angle, en apportant des solutions véritablement innovantes aux problématiques et besoins des organisations. Ce changement de paradigme est favorable à l’apparition de nouveaux business models, jusqu’alors difficiles à mettre en œuvre du fait de la complexité technique liée à la blockchain, désormais levée.

Encore très « early stage » il y a cinq ans et par conséquent particulièrement risqués, les projets reposant sur la blockchain ont mis plus de temps que prévu à susciter la pleine adhésion des organisations et investisseurs. Alors en 2021, place à l’humilité et à la patience : si la révolution blockchain est en cours, elle n’arrivera pas aussi vite que supposé et le champ des possibles qu’elle a ouvert reste à explorer. Aujourd’hui, avec le déploiement de la 5G, l’explosion de l’IoT, l’exploitation du big data, la montée en puissance de certaines startups et la multiplication des smart contracts, la conjoncture et l’écosystème technologique sont plus que jamais propices au développement de nouveaux cas d’usage reposant sur la blockchain. Toutes les conditions sont donc à présent réunies, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années, lorsque la blockchain était paradoxalement alors très fortement médiatisée.

L’avenir de la blockchain dépendra de la volonté des organisations à s’ouvrir à la coopération

Au sein du seul écosystème de l’entreprise, fermé, le potentiel de la blockchain reste limité : cette technologie n’est alors plus qu’un SI comme un autre. Dans un environnement clos, réduit à ses parties prenantes internes, les apports de la blockchain sont non seulement restreints, mais aussi invisibles en externe puisqu’ils ne peuvent faire l’objet que de communications, certes valorisantes, mais auxquelles le crédit accordé reste relativement limité. Ainsi, pour convaincre le public de sa valeur ajoutée et tirer pleinement profit de ce qui la rend unique, la blockchain doit dorénavant être utilisée de la façon dont elle a été initialement pensée. C’est-à-dire comme un outil liant l’ensemble des parties prenantes d’un écosystème ouvert, au bénéfice de la transparence, de la confiance et de la neutralisation du rapport de force.

En 2021, privilégier l’exploration de l’axe « filière », ouvert sur le monde, à l’axe « entreprise », replié sur lui-même à l’heure de la globalisation, est impératif pour passer à la vitesse supérieure et asseoir la position de la technologie blockchain dans l’environnement économique. Son évolution au cours des prochaines années dépendra de la volonté et de la capacité des organisations et consortiums à y recourir dès à présent, en travaillant ensemble sur des projets communs. Toutefois, cette co-construction autour de la blockchain n’est envisageable qu’à trois conditions. Tout d’abord, les organisations et écosystèmes désireux de tirer parti de sa valeur ajoutée doivent disposer de l’environnement technologique adéquat, notamment des IoT et des SI nécessaires à la collecte de données. En outre, ils doivent adresser un besoin précis au sein d’une filière, idéalement à l’échelle internationale. Enfin, ils doivent être en capacité de répondre aux enjeux d’interopérabilité entre les différents systèmes des entreprises concernées. Ces impératifs sont d’une part indispensables pour faire émerger de nouveaux business models mais également pour convaincre de la valeur intrinsèque à cette technologie, à savoir sa capacité à transmettre une information telle que définie dans le contrat sans qu’elle ne puisse être modifiée ou falsifiée.

En somme, en proposant une autre manière de faire bouger les lignes et d’œuvrer au développement d’un secteur d’activité, la blockchain offre une alternative solide aux modes de fonctionnement habituels. Et puisqu’elle permet à chaque partie prenante de disposer du même niveau d’information, elle s’aligne par ailleurs parfaitement avec les aspirations des entreprises et particuliers, de plus en plus désireux de voir émerger des innovations responsables contribuant à la construction d’une économie et d’un monde plus prospères et durables. La blockchain ouvre donc grand la porte à l’intelligence collective et à la coopétition, en incitant par exemple les organisations d’un même secteur à réfléchir ensemble à leurs enjeux de R&D. Un cercle vertueux au sein duquel chaque partie prenante, motivée à l’idée de cueillir les fruits d’une telle fertilisation croisée, fait bien souvent preuve d’une créativité et d’une implication hors pair.

Les labels, un nouveau levier d’accélération pour la blockchain ?

Manifestement, la blockchain pousse les entreprises à se réinventer et à se rapprocher les unes des autres dans un intérêt commun. Ces derniers mois, l’émergence de labels internationaux destinés à garantir la qualité des produits, services ou processus, a confirmé une tendance à l’ouverture. A titre d’illustration, l’industrie du luxe, traditionnellement parmi l’une des plus fermées, a vu ses Maisons s’ouvrir à la puissance de cette technologie. Elles sont en effet de plus en plus nombreuses à collaborer, notamment à travers Arianee ; une blockchain portée par un consortium indépendant à but non lucratif visant à lutter contre la contrefaçon. Concrètement, grâce à une norme mondiale de certification numérique des produits de luxe, les clients sont assurés de l’authenticité des créations qu’ils acquièrent – sans avoir pour autant conscience de l’utilisation de la technologie blockchain pour répondre à cet enjeu de traçabilité. Une fois de plus, si la blockchain n’est pas forcément visible du public, ses cas d’usage se sont multipliés ces dernières années et ses atouts ont su séduire de nouvelles filières.

Par exemple, en « blockchainisant » ses distributeurs, Carrefour a pour sa part créé indirectement un label d’un tout nouveau genre à même d’assurer que l’ensemble de sa chaîne de production réponde bien au cahier des charges. Si pour l’heure ce label nourrit essentiellement l’image de marque du retailer, il y a fort à parier que la blockchain puisse à terme constituer un atout véritablement différenciant dans le secteur ; en l’occurrence en apportant une réponse concrète à un enjeu de traçabilité alimentaire. D’autres filières pourtant particulièrement concurrentielles, comme la santé ou l’énergie, se sont elles aussi ouvertes à la coopération à l’instar de Total, qui a rejoint la plateforme blockchain Vakt développée par BP et Shell dans l’optique de renforcer la transparence relative au négoce de pétrole. En ce début d’année 2021, les organisations et consortiums doivent avoir conscience que seuls les plus réactifs d’entre eux sauront tirer leur épingle du jeu sur ce marché de labels en devenir, et déjà en explosion.

En s’invitant pour l’heure indirectement dans le quotidien des individus, la blockchain continue de gagner discrètement du terrain. Mais au-delà de sa valeur pour l’utilisateur final, cette technologie est sur le point d’opérer une véritable révolution au sein des entreprises : en remettant en question les fonctionnements en place, en affectant la temporalité des processus – notamment en raccourcissant les cycles de R&D – mais aussi en impactant directement la gouvernance des entreprises, elle aussi amenée à se transformer. Assurément, la blockchain devrait parvenir à s’imposer comme une innovation capable d’accompagner les mutations plurielles et profondes d’aujourd’hui et de demain.

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