Relance de l'industrie automobile chinoise : quels enseignements pour le reste du monde ?

Mai 2020
Post crise sanitaire Covid-19, la Chine a été le premier pays à redémarrer sa production automobile, et malgré des différences culturelles, économiques et sociales significatives, son expérience pourrait montrer la marche à suivre pour l’Europe et les Etats-Unis.

Relancer la production dans le monde

Après deux années de baisses consécutives, la production et les ventes automobiles ont encore diminué d’environ 80 % en Chine en février 2020 par rapport à la même période de 2019. Le mois suivant a connu une légère reprise, la production et les ventes n’ayant baissé que de 45% par rapport à Mars 2019. Une partie des pertes pourrait être expliquée par le fait que le Nouvel An chinois coïncidait avec le début de la phase de confinement fin janvier.

Alors que la production était complètement arrêtée dans de nombreuses usines, les centres de R&D chinois ont pu, de leur côté, reprendre leur activité en télétravail dès la fin des congés du Nouvel An légèrement prolongés.

Malgré la forte baisse enregistrée en février, la reprise a en réalité commencé dès ce même mois, quelques jours seulement après la mise en place du confinement. A Wuhan, l’épicentre du Covid-19, la production a redémarré en Mars, impliquant quelques 700 constructeurs et équipementiers automobiles chinois et étrangers. En comparaison, la production automobile en Europe a été presque totalement stoppée pendant environ 4 semaines en Mars et Avril, et le redémarrage n’a eu lieu – progressivement – que depuis mi-avril. Outre-Atlantique, la production aux États-Unis et en Amérique du Sud devrait reprendre vers mi-Mai. Toutefois certains acteurs ont d’ores et déjà annoncé des délais plus longs, notamment Toyota au Brésil, qui a déclaré ne pas souhaiter rouvrir ses usines avant le mois de Juin.

En Chine, l’espoir de rattraper les ventes perdues pendant le confinement sur le reste de l’année 2020 perdure. En témoignent les constructeurs Allemands implantés en Chine, positionnés sur le segment des voitures haut de gamme, qui semblent se remettre de la crise chinoise plus facilement que les autres marques. En effet, en Mars, deux des principaux constructeurs allemands, dits premium, n’ont accusé des baisses de leurs ventes en Chine que de l’ordre de -15% par rapport à 2019.

Quels enseignements tirer de la reprise en Chine ? 

Préserver la santé avant tout

Selon Jean-Francois Salzmann, associé Mazars en Chine, les entreprises du secteur automobile relançant leur production doivent accorder une attention particulière et concentrer leurs efforts à veiller à ne pas mettre en danger la santé de leurs employés : « si un seul employé est infecté, cela peut conduire à la fermeture totale du site, voire des sites de l’entreprise dans tout le pays. Le secret de la rapide reprise de l’activité en Chine est que nous prenons la prévention des épidémies très au sérieux. Outre la fourniture des équipements de protection individuels adéquats et en nombre suffisant, tels que les masques et les thermomètres, il est également fondamental de contrôler et suivre l’historique des déplacements et des contacts des employés. Les entreprises doivent être en mesure d’identifier les employés présentant des risques d’infection et d’isoler ceux qui pourraient être infectés ». Le respect de l’hygiène personnelle et le maintien d’une distance suffisante entre les personnes sur leur lieu de travail doivent impérativement être organisés et contrôlés par les employeurs.

Un niveau élevé d’automatisation de la production permet de respecter les distances de sécurité souhaitées. Cependant, ces distances de sécurité ne sont pas sans effet, tant sur le processus de production, par exemple, sur la disposition des chaises dans les restaurant d’entreprises ou dans l’organisation commune du transport des salariés, pratique largement mise en place pour les employés dans les usines automobiles d’Asie et d’Amérique du Sud. La circulation même au sein des usines doit être repensée, et le comportement des employés pendant les pauses réglementé.

Les mesures prises par les entreprises chinoises pour redémarrer la production ont été contrôlées et validées sur place directement par les autorités chinoises. Selon Sven Ammer, PDG de Böllhoff en Asie, Böllhoff a reçu les autorisations sans difficulté particulière, car les différents aspects avaient été bien réfléchis et anticipés par l'équipe interne de gestion de crise. En outre, les données personnelles des employés qui reviennent travailler doivent être communiquées aux autorités et le retour de chacun préalablement approuvé. Ces autorisations ont été délivrées rapidement, explique S. Ammer à Böllhoff, et étaient généralement traitées dans les 24 à 36 heures. Encore aujourd'hui, la température est contrôlée trois fois par jour et le niveau de risque des employés est accessible via l'application de suivi de l'État, qui en présente clairement les résultats. Les mesures prises par Böllhoff ont été un tel succès en Chine, ajoute-t-il, que ses collègues européens suivent maintenant cet exemple dans leurs réflexions au redémarrage de la production.

Sécuriser les approvisionnements

Juste après la santé des employés, c’est sur la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement que l'attention doit être portée, car la Chine est largement connectée à l'industrie automobile mondiale. Ce n'est pas seulement une question de matières premières ou de composants, mais également de logistique. Bien que de nombreuses usines d’équipementiers soient situées à proximité de celles des constructeurs, le transport doit être assuré même sur ces courtes distances. Comme il n’était pas possible d’aller d’une ville à l’autre en Chine pendant le confinement, Böllhoff a transporté des marchandises par camion jusqu'aux limites des villes et les a rechargées dans un autre camion de l'autre côté de la « frontière ». Pour les livraisons en Europe, aux États-Unis et en Amérique du Sud, qui sont généralement effectuées par voie maritime, de nombreuses entreprises sont passées au fret aérien pour respecter les délais de livraison. À court terme, certains équipementiers ont augmenté leur niveau de stock afin de pouvoir réagir rapidement à la demande croissante des constructeurs.

Faire face aux nouvelles conditions

L’équipementier français Faurecia a été contraint de changer sa routine quotidienne en réponse au virus. Yongwei Jiang, vice-président des opérations de Faurecia Chine, explique qu’ils sont actuellement organisés selon un modèle « sans contact » au travail : les changements d’équipes se font avec un intervalle d'une heure, afin d’éviter que les salariés ne se croisent et ne se transmettent potentiellement le virus. Une telle politique permet également au management de combler les absences de courte durée grâce à la mise en place d’une équipe de secours, si nécessaire. De plus, pendant la période de confinement, Faurecia a réussi à transférer la production de Wuhan vers d'autres sites de production à une vitesse impressionnante, réduisant ainsi les retards et les pénuries. À l'avenir, de nouvelles installations et de nouveaux procédés de production seront prévus pour en permettre une utilisation plus flexible.

Se tourner désormais vers l’avenir

Même si un rattrapage important est attendu en Chine, il faudra très probablement des années à l'industrie automobile mondiale pour retrouver ses volumes d'avant la crise. Alors qu'une baisse plus faible des ventes par rapport à l'année précédente est attendue au second semestre 2020 par rapport aux 6 premiers mois de l’année, l'industrie automobile pourrait subir des changements profonds.

Renault, par exemple, a récemment annoncé qu’il se retirait de sa coentreprise avec le constructeur chinois Dongfeng, et d’autres acteurs majeurs du secteur pourraient bien suivre cet exemple. Selon J.F. Salzmann, cette crise continuera à favoriser la concentration du marché automobile chinois, qui compte actuellement plus de 70 constructeurs majoritairement locaux, et près de 500 projets et start-ups dans le seul domaine de la mobilité électrique.

La nature et l’étendue des impacts du Covid-19 sur l’automobile restent difficiles à appréhender à moyen et long terme. Pendant des décennies, l'industrie automobile s'est concentrée sur l'optimisation de son fonds de roulement. Alors que l’accent était mis sur l’optimisation du cash et le lean management, de nombreuses entreprises du secteur automobile reconsidèrent leurs priorités et revoient leurs capacités de production. Les chaînes d'approvisionnement sont fortement contrôlées par les constructeurs, et il reste à voir dans quelle mesure ils vont désormais pousser à une plus grande régionalisation de ces approvisionnements, dans le but de réduire la dépendance vis-à-vis des partenaires internationaux. Néanmoins, il est clair que les conséquences de cette crise et de l’arrêt de la production mondiale ne peuvent pas être résolues par cette seule régionalisation, ajoute C. Back. Certains constructeurs repensent actuellement plus globalement leurs stratégies d'approvisionnement : passer d'un seul fournisseur par composant à deux ou plus leur permettrait d’être mieux préparé en cas de nouveaux arrêts de production localement ou de pénuries ou faillites individuelles des fournisseurs.

L’expérience du Covid-19 voit sans doute de nouvelles opportunités se présenter pour l’industrie automobile. Les voyageurs pourraient de nouveau se tourner vers des moyens de transports individuels, puisque l’usage des transports en commun est associée à un risque d'infection plus élevé. Ils pourraient prétendre à de nouveaux équipements dans les voitures, tels que des fonctions de désinfection dans le système de climatisation, par exemple. Pourquoi pas, à court terme, une hausse des ventes de véhicules neufs en ligne et sans contact – hypothèse plausible qui rapprocherait les marques traditionnelles de l'expérience déjà éprouvée de Tesla.

Malgré l'incertitude des perspectives à venir pour l'industrie automobile, l’optimisme est de mise notamment quand on voit des constructeurs mettre tout en œuvre pour relancer la production et répondre aux plus près des demandes des clients. Yongwei Jiang envisage positivement l'avenir, estimant que nous serons capables de trouver un juste équilibre entre la santé des personnes et la croissance économique. En réalité, peu importe ce qu’il va se passer désormais en Chine, le reste du monde regardera attentivement.

Cet article fait partie d'une série consacrée au redémarrage de l'industrie automobile dans le monde entier. Pour découvrir les autres articles et décryptages sur ce sujet, cliquez ici.