Les obligations « vertes », une oasis à portée ?

Le marché mondial des obligations vertes a connu un fort essor ces dernières années, enregistrant une croissance de 75% entre 2016 et 2018 avec un volume d’émissions de 175 milliards de dollars. L’une des nouveautés de ce marché réside dans l’émission de titres par une multitude d’acteurs non publics, notamment des entreprises non financières. Aussi, il est prévu que le marché reste porté principalement par les émissions européennes répondant au besoin supplémentaire d’investissements en Europe de 180 milliards d’euros par an afin d’atteindre à l’horizon 2030 les objectifs énoncés par l’UE lors de l’accord de Paris.

Obligations vertes : un marché en plein expansion mais encore trop peu structuré

Pour ce qui est de la France, elle détient le record de la plus importante obligation verte jamais émise d’un montant de 7 milliards d’euros traduisant la politique volontariste du gouvernement dans la ligne des objectifs de l’accord de Paris. En janvier 2017, l’Obligation Assimilable au Trésor (OAT) verte lancée offre alors un rendement de 1.75% pour une maturité de 22 ans. Cette OAT cible des dépenses du budget de l’Etat et du Programme d’Investissements d’Avenir pour la lutte contre le changement climatique, l’adaptation au changement climatique, la protection de la biodiversité, et la lutte contre la pollution.

Selon l’International Capital Market Association (ICMA) est considéré comme obligation « verte » tout type d’obligation dont les revenus servent exclusivement à financer ou refinancer tout ou partie d’un projet « vert » éligible. Celles-ci présentent de nombreux avantages, en premier lieu pour l’investisseur. Tout d’abord, une diversification du risque et une possibilité de choix entre plusieurs catégories, dont les plus connues sont les suivantes :

  • Green Revenue Bond, sans recours et avec une exposition limitée aux flux de revenus de l’émetteur ;
  • Green Project Bond, avec une exposition directe au risque du projet ;
  • Green Securitized Bond (obligation titrisée), adossée spécifiquement à des projets ou à des leasings – par exemple d’installations photovoltaïques.

La forte demande dont font l’objet les obligations « vertes » sur le marché conduit les acteurs à une meilleure définition des critères d’éligibilité et à plus de transparence, améliorant la confiance des investisseurs en ce marché. Concernant l’OAT française, l’identification par le gouvernement d’enveloppes dédiées par catégorie contribue également à donner une meilleure visibilité à l’investisseur.

Du côté émetteur, l’obligation « verte » accompagne l’accélération des investissements car elle mobilise massivement et rapidement de l’argent sur les marchés. Cet investissement répond de plus à une double exigence. D’une part à la pression générale induite sur le marché par une diversité d’acteurs – institutionnels, société civile, actionnaires – d’investir dans des projets verts et d’autre part à la volonté de tenir leurs engagements ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance). En France, l’obligation « verte » est un excellent moyen pour les collectivités territoriales par exemple (notamment celles de petite taille qui peuvent mutualiser les créances émises) de communiquer sur leur stratégie environnementale, de diversifier et de mieux cibler les investisseurs concernés par des projets « verts ».

Néanmoins, des limites techniques, économiques, et réglementaires imposent une réflexion attentive avant le recours aux obligations « vertes ».

Pour l’émetteur, la production des rapports reste souvent un frein : à titre d’exemple, sur les 25 émetteurs aujourd’hui recensés en France, seuls 16 ont produit un rapport disponible et 6 autres ont produit un rapport difficile d’accès ou bien n’en ont pas publié. Les collectivités de petite taille qui pourraient bénéficier de cet élan d’investissement font surtout face à des processus longs et une mobilisation ardue de moyens et du personnel.

Les obligations « vertes » entrent également en concurrence avec les « Social Bonds » ou les « Sustainable Bonds », ces derniers relatifs à des enjeux à la fois environnementaux et sociaux (en progression de 35% en 2018, 30 milliards d'euros) et attirant donc les investisseurs ESG. Une compétition qui complexifie d’autant plus une définition différenciée et claire de l’obligation « verte ».

D’un point de vue réglementaire, il manque aujourd’hui un cadre légal contraignant pour le choix des projets, la production des rapports et l’émission des titres verts. L’OAT française est par exemple encadrée par les Green Bond Principles, un guide de bonnes pratiques à valeur symbolique, publié par l’ICMA. Par ailleurs, les standards d’encadrement se multiplient aux niveaux régional et international : l’Union européenne prévoit de créer un guide non contraignant Green Bond Standard à son tour, tout comme l’International Organization for Standardization. D’autres acteurs tels que l’agence de cotation Moody’s ou des entreprises (Vigeo Eiris en France, Sustainalytics, Cicero) proposent en plus d’évaluer, de vérifier, et de certifier les obligations dites « vertes », traduisant le vide réglementaire en la matière. Il persiste donc encore une absence d’harmonisation des outils d’appréciation et des règles de choix de projets « verts ».

Enfin, malgré la forte attractivité des obligations vertes comme moyen de financement de la transition énergétique, de nombreuses questions demeurent : comment éviter les effets d’aubaine, notamment la question de greenwashing qui anime aujourd’hui le débat sur la transparence des investissements « verts » ? Aussi, l’émission de titres obligataires verts est-elle bien adaptée à la demande majoritairement locale en France et en Europe alors même que ces émissions sont majoritairement dédiées à de grands projets et aux infrastructures ?

Article co-écrit par Edouard Lecoeur, Associé, Public, Infrastructure et Real Estate Advisory et Adrien Dubié, Senior Manager, Infrastructure et Energie

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