Premier bilan du confinement pour la Protection de l’Enfance : Des solidarités salvatrices pour une mission sous tension

Juin 2020
En France, près de 300 000 enfants font l’objet d’une mesure de protection¹. Pour ces enfants qu’ils vivent au sein de leur famille ou soient accueillis dans un établissement social – la période inédite de confinement a, pour certains, accru le danger qu’ils encourent, sinon leurs difficultés et fragilités.

Les acteurs du secteur de la Protection de l’Enfance l’ont tout de suite anticipé, faisant preuve de la plus grande vigilance.  Ils ont aussi manifesté beaucoup d’ingéniosité pour améliorer le quotidien confiné de ces jeunes déjà en souffrance. Pour ce premier bilan de confinement, se dessinent d’ores et déjà de nouvelles pratiques qui vont changer les modalités d’accompagnement.

La quadruple peine pour les enfants confiés à l’Aide sociale à l’Enfance

Le confinement des enfants placés en structure d’hébergement ou en famille d’accueil n’a pas été sans conséquences. Les établissements scolaires et les centres de loisirs étant fermés, ces structures sociales les ont accueillis 24h/24. Alors que ces dernières ne sont pas toujours calibrées pour un accueil important en journée, elles ont dû faire face à des effectifs encore plus réduits. Et pour cause, les travailleurs sociaux n’ont pas pu bénéficier, comme les professionnels de santé, de la garde de leurs enfants. Il s’agissait dès lors, de faire plus, avec moins de moyens humains.  

Mais en plus de la gestion du sous-effectif, ces établissements ont fait face à des difficultés en cascade : continuité scolaire avec peu de moyens, maintien des liens familiaux malgré la séparation, poursuite des soins, prise en charge des enfants en situation de handicap sans moyens adaptés. Ainsi, ce n’est pas une double mais bien une quadruple peine qu’a subi ce secteur. 

Des solutions locales qui se sont organisées grâce à la solidarité 

Pour continuer à assurer leurs missions de protection sous tension, les acteurs du terrain ont pu compter sur une forte solidarité au sein de leurs propres réseaux de proximité, à plusieurs niveaux. 

Ainsi, si le cadre de fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux a bien été assoupli par ordonnance (n°2020-313 du 25 mars 2020) pour permettre les adaptations nécessaires à la situation inédite traversée et si des actions ont été menées conjointement entre le Secrétaire d’Etat à la Protection de l’Enfance et le Ministre de l’Education Nationale « pour mobiliser d’autres éducateurs aujourd’hui en arrêt de travail forcé comme les professeurs d’EPS [afin de] renforcer l’encadrement dans les foyers et proposer des activités sportives et culturelles. »² ; ce type d’initiatives se sont davantage organisées au niveau local, au sein d’un même gestionnaire ou entre partenaires d’un même territoire. 

Globalement, les responsables d’association et directeurs d’établissement saluent l’engagement des professionnels du secteur. Très peu de droits de retrait ont été enregistrés. Au sein de l’association L’ESSOR, et après aval des deux autorités de contrôle, le directeur de l’ITEP de Clairval a mis ses locaux et une partie de son personnel à disposition de la MECS Les Bourdonnais qui accueille de jeunes enfants et dont locaux étaient particulièrement peu adaptés. Le site de l’ITEP dispose de 2,5 hectares avec une forêt, mais aussi un gymnase, un atelier et un terrain de sport. Des bénévoles sont également venus en renfort. « Sans cette solidarité associative, le confinement y aurait été explosif », estime la directrice de la MECS. 

Les autorités de contrôle restent bien sûr mobilisées pour soutenir le secteur et appuient directement les acteurs du terrain par une aide concrète. Par exemple, des départements comme les Yvelines, les Hauts-de-Seine ou le Lot-et-Garonne ont inclus les professionnels du secteur social dans le dispositif de garde exceptionnelle d’enfants3. Tandis que « les 15 collégiens de la MECS des Akènes, à Jouy-en-Josas, se sont vu remettre des tablettes numériques par le Conseil départemental des Yvelines qui leur a également installé la fibre et le Wifi», rapporte la directrice de l’établissement. En outre, les agents des territoires d’action sociale de ce même département « se sont massivement portés volontaires aux fins de renforcer l’encadrement au sein des associations [du secteur] », confie Sandra Lavantureux, directrice de l’ASE du Conseil départemental des Yvelines4.

Et maintenant ? Une situation inédite source de nouvelles pratiques

Le caractère inédit et complexe de la situation, la créativité des équipes, le terreau de solidarités fortes et d’expériences nouvelles ont transformé les pratiques professionnelles du secteur en quelques semaines et vont profondément inspirer les modalités d’accompagnement des enfants, que ce soit au niveau du déploiement de nouvelles pratiques d’échanges à distance (éducatifs, pédagogiques, accompagnement aux soins), concernant  l’accélération du déploiement d’outils numérique, tout comme la mise en œuvre de nouveaux modèles managériaux ainsi que la découverte de nouvelles compétences pour étayer les équipes pluridisciplinaires ou encore sur les nouvelles formes de partenariats mis en place avec l’ensemble des acteurs d’un territoire.  

Ainsi de nouvelles pratiques testées pendant le confinement auront, pour certaines, vocation à être poursuivies dans les mois à venir. Les professionnels de l’ITEP de Clairval ont ainsi davantage pris en main les outils numériques pour la prise en charge des jeunes : recours aux outils collaboratifs en visioconférence pour les accompagnements et consultations à distance ou pour les réunions de coordination, généralisation du dossier dématérialisé de l’usager, mise en place d’entretiens téléphoniques avec les familles et les enfants, etc. Le directeur note même que certains jeunes sont plus à l’aise avec les consultations de psychologie à distance plutôt qu’en face à face avec le praticien. 

L’association L’ESSOR et la Mutuelle La Mayotte ont par exemple noué un nouveau partenariat pour proposer un numéro d’appel unique de soutien psychologique à leurs salariés respectifs, qu’il s’agisse de questions d’ordre personnel ou professionnel. 

La directrice de la MECS de Versailles et de Jouy-en-Josas note également de belles surprises sur fond de crise. Alors que le confinement des adolescents accueillis à la MECS des Akènes, à Jouy-en-Josas, s’avérait a priori complexe, les adolescents se sont montrés « très responsables ». « Globalement, ils respectent tous les règles du confinement, suivent l’actualité liée à la crise actuelle et ont même pris l’initiative de remettre en état le terrain de tennis appartenant à leur établissement pour en faire un terrain multisports ». Elle remarque que certaines activités mises en place ont conquis les adolescents et seront très probablement poursuivies au-delà de cette période: atelier musique, jeux de société, ateliers Do It Yourself. « Le renfort de professionnels venus du médico-social a aussi été l’occasion d’apporter à l’équipe de la MECS des savoir-faire différents », ajoute-t-elle. 

Si le pédopsychiatre Boris Cyrulnik estime que le temps de la résilience est engagé depuis l’après-confinement, il relève aussi que certaines expériences menées en période de confinement, sont d’ores et déjà des supports qui permettront d’atteindre cette résilience. Alors que le confinement pesait lourdement sur les épaules de ces enfants placés, les jeunes de la MECS du Bourdonnais ont écrit et mis en musique avec leur Directrice une chanson en hommage aux soignants et aux malades du Covid 19. « Donner un sens à une épreuve tragique c’est mettre dans son âme une étoile du berger qui indique la direction », souligne le pédopsychiatre5. Une belle leçon de vie de la part de ces jeunes.

1295 357 mineurs sont pris en charge en Protection de l’Enfance sur la France entière, au 31 décembre 2016. Et 21 400 jeunes majeurs (18-21 ans) font l’objet d’un contrat jeune majeur. Dernières données de l’ONPE.
Fiche relative aux consignes nationales d’adaptation du secteur de la Protection de l’Enfance en temps de Covid 19.
Hospimédia. La protection de l’’enfance doit désormais gérer en interne 24h/24 ses enfants handicapés, 18.03.2020.
Article du 23.03.2020, Yvelines-infos.fr. Comment l’Aide sociale à l’Enfance poursuit ses missions ?
Entretien de Boris Cyrulnik à France Culture, le 9 avril 2020.

Cet article vous est proposé par Elodie ALBRECHT, Senior Manager Mazars et Julia PERNET, Manager Mazars.