L’innovation Organisationnelle, une réponse aux défis de la santé mentale ?

L’application de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale 2018 conforte la prévalence de l’innovation dans l’amélioration de l’organisation des soins. Tous les acteurs des secteurs sanitaire et médico-social sont invités à repenser leur fonctionnement pour renforcer la qualité des soins et l’efficience de leur organisation.
Novembre 2019

Le secteur de la santé mentale dispose d’une organisation spécifique, liée à des modalités de prises en charge qui lui sont propres : la prégnance de l’activité ambulatoire, des durées d’hospitalisation longues ou encore l’existence de soins sans consentement impliquant une articulation avec la justice durant la prise en charge1. De plus les soins en psychiatrie visent une stabilisation des patients induisant la construction, en étroite coordination avec les partenaires, d’un parcours de santé et de vie favorisant le maintien des liens sociaux et la réinsertion sociale. Le secteur constitue par ailleurs une « priorité nationale ». La psychiatrie est en effet un axe fort des orientations nationales en matière de santé. La crise traversée par le secteur en 2018 a notamment souligné la nécessité d’adapter l’offre face à une augmentation des besoins corrélée à un engorgement de l’ensemble des dispositifs extra et intra hospitaliers. 

L’INNOVATION ORGANISATIONNELLE POUR RÉPONDRE AUX ENJEUX DE TRANSFORMATION DE LA SANTÉ MENTALE 

Dans le cadre de la feuille route « Psychiatrie et Santé mentale », déclinaison opérationnelle de « ma Santé 2022 », le fonds d’innovation organisationnelle de 10 millions d’euros vise à financer les projets innovants qui tendent à renforcer l’accès, la continuité ou la qualité des soins. Sont notamment promus les projets dont l’objectif est : 

  • D’améliorer le repérage et la prise en charge précoce des plus jeunes ; 
  • De construire des parcours favorisant la proximité et l’articulation avec les autres acteurs concourant à la prise en charge, en cohérence avec les projets territoriaux de santé mentale ; 
  • De développer la télémédecine au service des patients et des professionnels ; 
  • D’améliorer l’accès aux soins somatiques ;
  • De renforcer la prévention et la gestion des situations de crise et d’urgence. 

La psychiatrie a d’ores-et-déjà su se réinventer dès la seconde partie du XXème siècle au travers d’une désinstitutionalisation progressive et d’une organisation tournée autour de la logique de secteur2, dans une volonté d’aller hors les murs, au plus près des usagers et de leur lieu de vie. Et plus récemment, l’articulation avec les autres intervenants concourant au parcours de l’usager est travaillée au travers de dispositifs tels que les Conseils Locaux de Santé Mentale (CLSM) ou les Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM). Dépassant ainsi son histoire asilaire, la psychiatrie constitue résolument un lieu d’innovations organisationnelles, adaptant ses pratiques aux nouveaux besoins des populations. Le contexte national l’invite une fois encore à innover et à faire évoluer ses dispositifs et pratiques au service des parcours des usagers.   

Un certain nombre d’initiatives et expériences existent et peuvent inspirer les prochaines propositions des acteurs. Cela laisse présager de nombreuses innovations porteuses pour le secteur en France, à court et moyen terme. 

EN VILLE, UN SERVICE MOBILE POUR LES SITUATIONS DE CRISE ET D’URGENCE 

Priorité de la prise en charge en psychiatrie, la gestion des situations de crise et d’urgence requiert une expertise médicale et soignante pour prendre en charge de manière appropriée des personnes en décompensation. Aussi, face aux difficultés rencontrées dans ces situations par les services ambulanciers conventionnels et la police, il a été créé en Suède, un service mobile d’urgence psychiatrique dans le comté de Stockholm3, pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques graves et/ou ayant un risque suicidaire important. L’organisation de ce dispositif est similaire aux services d’urgences mobiles classiques avec une gestion des appels par les mêmes centres de régulation. Une équipée dédiée, composée de deux infirmiers spécialisés et d’un conducteur, fonctionne de 14h00 à 2h00, période sur laquelle il est compté le plus d’appels4. Pérennisé après deux ans d’expérimentation, ce service a permis de proposer une prise en charge adaptée pour les patients, de soulager les services ambulanciers et de participer à la déstigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Il semble plus particulièrement adapté aux agglomérations.  

ASSOCIER L’EXPERTISE PATIENT AUX SOINS : DÉVELOPPER LA PAIR-AIDANCE 

Au travers de la consécration de la démocratie sanitaire et du développement de la notion d’empowerment, la relation soignant/soigné a profondément changé, confortant la place de l’usager comme acteur de soins. Afin de capitaliser sur l’expérience des patients en psychiatrie, le Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS) a développé, depuis 2012, un programme de formation professionnalisante de Médiateurs de Santé Pairs5. L’intégration de ces médiateurs au sein des équipes soignantes tend à soutenir les patients et à favoriser l’alliance thérapeutique, par l’apport de la pair-aidance, en complémentarité de l’approche clinique. Des expériences, déjà mises en œuvre à travers le CCOMS, l’Université Paris 8, la FNAPSY et trois ARS, sont aujourd’hui relancées, sous l’impulsion des pouvoirs publics. En effet, le développement de la pair-aidance en Santé Mentale est inscrit dans les axes stratégiques des Projets Régionaux de Santé des Hauts-de-France et des Pays-de-la-Loire. L’ARS Hauts-de-France a notamment publié un cahier des charges en juin 2019 pour participer à la formation de 5 médiateurs de santé pairs. 

PRÉPARER L’INTÉGRATION DES ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES DANS LES PRATIQUES 

La santé mentale, comme les disciplines médicales les plus techniques, est impactée par les innovations technologiques, qui amènent à faire évoluer les pratiques professionnelles et médicales. Par exemple, les équipes d’IBM Research6 en association avec des universités ont développé une intelligence artificielle capable d’identifier l’apparition d’une psychose à partir d’une modélisation de la complexité syntaxique et de la cohérence sémantique de discours de patients à hauts risques ayant ou non développé une psychose. Futur appui pour les praticiens dans le dépistage et l’évaluation des troubles psychiatriques, ces évolutions impliqueront probablement à terme de repenser le rôle des professionnels en incluant de nouveaux dispositifs dans l’organisation des prises en charge.

Auteurs : Agathe GROS, Manager et Esther BONNOT, Consultante senior