La transition écologique : Puissant déstabilisateur du marché de l’emploi

Un décryptage de Asmaa TOUACH, Responsable Développement de la Start-Up Olenergies
Avril 2020

Le contexte actuel de pandémie de Covid-19 sans précédent dans l’histoire de l’humanité atteste des difficultés de nos économies à être résilientes et à maintenir la croissance économique en période de choc. La nécessité d’extraire toujours plus de ressources naturelles, de regrouper les Hommes pour produire, ajoutée à la prédominance de chaînes logistiques et d’approvisionnement toujours plus étendues à l’échelle de la planète sont autant de paramètres qui structurent notre logiciel de croissance, souffrant actuellement du virus. Pourtant, viendra le temps de la relance d’après-crise et si la question de la transition énergétique et climatique est aux abonnés absents ces derniers jours, elle demeurera un défi majeur pour construire le marché de l’emploi de demain : plus sobre, résilient et efficace. La tentation de reconstruire à l’identique et de miser sur les énergies fossiles pour repartir sera grande. La concrétisation du Green New Deal européen sera alors stratégique. Rappelons-nous les mots d’Ursula von der Leyen en décembre 2019, avant la crise sanitaire : « inventer une stratégie de croissance qui ne nuise pas aux ressources de notre planète ».

Vers un marché du travail neutre en carbone ?

Suite à la COP 21 (Paris-2015), et pour relever le défi climatique, l'Union Européenne et la France s'engagent vers la neutralité carbone à horizon 2050 soit la réduction significative de nos émissions de gaz à effet de serre tout en développant des mécanismes de puits carbone naturels et industriels.

Synonyme de transformation radicale des modes de production et de consommation, certaines entreprises changent de fait dès maintenant leur business model. En première ligne des émetteurs avec 39%[1] des émissions totales de GES française (hors UTCF), le secteur des transports a déjà entrepris sa transition mais avec des résultats très relatifs. La fermeture de Fessenheim ou encore la fin des plastiques jetables sont d’autres exemples emblématiques à l’ère de la transition énergétique, qui engendrent des impacts évidents sur le marché de l’emploi, tant sur le volume que la nature des emplois concernés.

Depuis les années 1970 quelques 57 000 emplois[2] sont détruits chaque année dans l'industrie en France, au profit du secteur des services. Cette désindustrialisation massive est majoritairement due à une recherche de compétitivité, et notamment à la délocalisation des activités vers des pays à main d’œuvre plus abordable. On citera la mondialisation et la robotisation comme autres facteurs déstabilisateurs du marché de l’emploi pour les acteurs locaux. L’avènement de la crise climatique, nouvelle variable dans l’équation du marché de l’emploi, définit un cadre structurant des activités économiques en vue de l’atteinte des objectifs communs vers une neutralité carbone à l’échelle de 2050. Les filières se doivent aujourd’hui d’organiser leurs activités afin d’y intégrer l’économie verte et leur empreinte carbone comme vecteurs de création de valeur.

L’impact de la transition écologique sur l’industrie automobile : une filière historique qui se réorganise

La filière automobile est sans doute la plus emblématique de l’impact de la transition écologique sur l’emploi. L’industrie automobile a vu ses effectifs diminuer de 30% en quinze ans (210 000 personnes aujourd’hui contre 330 000 en 2004[1]). Vivement touchée par la crise économique de 2008, la filière est confrontée aujourd’hui à de nouvelles réglementations et à une évolution de la demande ce qui la pousse à s’adapter aux enjeux écologiques. Les voitures thermiques et plus spécifiquement les moteurs diesel, profitant d’une fiscalité favorable, représentaient plus de 70% des immatriculations en 2011 contre 40% en 2019. D’après l’Agence Internationale de l'Énergie, les ventes de véhicules électriques ont enregistré une hausse de 64% en 2018[2] soit l’équivalent de 2 millions de ventes.

Cette tendance à la mutation structurelle de la filière de l’automobile est soutenue par une volonté affichée des pouvoirs publics d’atteindre des objectifs de diminution des gaz à effets de serre liés à la mobilité. De ce fait, l’apparition de ces nouvelles réglementations ont un impact direct sur la filière et font évoluer les catalogues des constructeurs. C’est notamment l’objectif de la norme Européenne CAFE (Corporate Average Fuel Economy) qui limite le taux moyen de CO2 à 95 g/km, émis par les véhicules particuliers neufs vendus à compter du 1er janvier 2020, tous constructeurs confondus. En conséquence, selon le Plan climat, défini par le gouvernement en 2017, la commercialisation des voitures thermiques devrait prendre fin d’ici 2040 et s’accompagner ainsi par une réduction des émissions de 37.5% d’ici 2030.

Ainsi, dans un mouvement de réponse aux défis environnementaux, la filière de la voiture électrique se déploie à grande vitesse. Néanmoins, l’électrification de la filière ne se traduit pas aujourd’hui par de la création nette d’emplois en France. D’une part, le moteur électrique plus basique que le moteur thermique nécessite beaucoup moins d’heures de travail au moment de sa fabrication et de sa maintenance. Et d’autre part, les batteries électriques fabriquées en Chine et importées de toutes pièces traduisent aussi l’impact négatif, à date, de la transition écologique sur le marché de l’emploi français. Afin de garder son indépendance vis-à-vis des fabricants asiatiques (et américains), et favoriser la création de milliers d’emplois, l’UE a donné son feu vert, le 2 mai 2019 à Paris, pour le lancement du projet de “l’Airbus de la batterie”. Sous forme de consortium entre différentes entreprises privées, appuyé par des fonds publics. L’initiative verra alors la création de trois usines dès 2020 en France et en Allemagne. Une filière complète qui a comme objectif de garantir la qualité des matières premières, d’assurer la production des cellules, leur intégration et leur recyclage.

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Des territoires au cœur de la gestion de la transition écologique et de ses conséquences sur l’emploi

En complément des initiatives européennes et nationales, il est évident que le rôle des territoires est au centre de la réussite de chaque stratégie de transition écologique. L’économie circulaire devient aujourd’hui une des clefs pour garantir la pérennité des actions pour le climat mais aussi l’évolution du marché de l’emploi vers une déconcentration des pôles d’activités. Les circuits courts, le made in France, la résilience : autant de principes qui permettent de redynamiser les territoires.

Dans le secteur énergétique, la transition s’effectue par une décentralisation des sites de production. En région des Hauts de France, où la production d’énergie éolienne étant à son niveau le plus haut (7800 GWh à fin mai 2018), les acteurs locaux se tournent vers de nouvelles filières telles que le biogaz, le solaire ou encore la valorisation du gaz de mines dans le bassin minier. De nouveaux projets qui permettent de créer de nouvelles opportunités de carrières pour les populations locales.

Derrière l’effet d’annonce, ces filières émergentes nécessitent un renforcement de la formation et une nouvelle forme de collaboration inter-entreprise et inter-territoire. La filière du recyclage est ici un exemple révélateur puisqu’elle exige la mise en place d’un processus de maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur entre les différents acteurs depuis la collecte des déchets par les acteurs locaux (villes etc.) jusqu’à leur transformation par de nouveaux acteurs industriels utilisant de nouvelles technologies (recyclage chimique des plastiques…).

La transition écologique, un processus de destruction créatrice (Schumpeter)

De toute évidence, la question de l’impact de la transition écologique sur les emplois est une question nouvelle et les études récentes sont encore au stade laboratoire afin de dessiner le schéma d’analyse adéquat et d’identifier les variables efficaces à l’appréciation de l’impact réel. Conséquence directe, les enseignements sont divergents sur la capacité de la transition écologique à générer de la création nette d’emploi, il se dessine certaines lignes directrices convergentes. Parmi celles-ci, le développement des circuits courts se retrouve au cœur de la transition écologique. Construite sur base d’un modèle où l’humain devient au centre de l’économie verte, le marché de l’emploi connaît une métamorphose qui demande un accompagnement renforcé autant du domaine public (réglementation, consolidation des nouveaux besoins de formation…) qu’au sein du domaine privé (investissement, innovation…). Plus amplement, et pour reprendre les mots d’Ursula von der Leyen, il s’agira « d'inventer une stratégie de croissance qui ne nuise pas aux ressources de notre planète[1] » qui s’appuiera sur une fiscalité plus incitative et favorable au climat, sur des « boucliers » fiscaux et des plans d’accompagnement de formation et de reconversion pour protéger les populations dont les emplois seront directement détruits.

[1] Ademe

[2] INSEE

[3] AIE, WEO2019

[4] INSEE, Douanes Extérieures Françaises

[5] https://www.lesechos.fr/monde/europe/ursula-von-der-leyen-leurope-doit-faire-la-course-en-tete-1159077