"Raison d’être" et "Entreprise à mission" : vers une redéfinition de la RSE ?

Février 2020 - Un décryptage d'Edwige Rey, Associée responsable RSE & Développement durable
La loi Pacte, novatrice et incitative, pose les fondements juridiques de la responsabilité sociétale des entreprises. Néanmoins les contours du décret du 2 janvier 2020 restent vagues et laissent aux acteurs du marché différentes interprétations possibles sur la mise en application de la loi.

Un nouveau concept de la RSE ?

Les organisations et, en particulier les entreprises, ne peuvent se prévaloir de ne pas évoquer leur intérêt – plus ou moins soutenu par des moyens et actions concrètes – envers les sujets sociaux, environnementaux ou sociétaux. Ces engagements peuvent se traduire par l’adoption de stratégies RSE, ou encore l’inclusion dans les modèles d’affaires même de création de valeur extra-financière.

Depuis le 11 avril 2019 et l’adoption par le Parlement de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), toute entreprise se voit désormais offrir la possibilité de se doter d’une « raison d’être », voire de devenir une « entreprise à mission » (également appelée « société à mission »).

Reste à définir ce que représente une raison d’être pour une organisation ou encore de quelle mission se doter, dans un environnement où les attentes d’une entreprise se multiplient autant que les parties prenantes qui lui sont rattachées ? Comment définir un leitmotiv global et rentable ?

Quelle opportunité d’activité espérer et surtout quelle mise en œuvre opérationnelle afin d’éviter tout "mission-washing" ?

Une démarche impactant tous les niveaux de l’entreprise

En faisant évoluer l’article 1833 du Code civil, le législateur s’adresse à toutes les entreprises françaises, et non plus certaines d’entre elles aujourd’hui concernées par d’autres règlementations liées aux sujets RSE, afin qu’elles prennent en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité.

Cette considération peut se traduire en adoptant une « raison d’être », ou pour les plus matures le statut de « société à mission ».

Cette possibilité donnée par la loi Pacte, acte le principe qu’une entreprise ne se réduit pas uniquement à un projet intéressant mais répond, sous l’impulsion de sa raison d’être à des objectifs sociaux et environnementaux. Il est ainsi reconnu que les entreprises peuvent contribuer au bien commun par le biais de la co-construction avec les parties prenantes. 

Quelle transcription et application concrète de ce principe dans l’organisation et les activités quotidiennes ? Quels objectifs associer ? Au-delà des actions engagées dans l’entreprise, ce sont avant tout les Conseils d’Administration et autre organe dirigeant qui sont désormais visés afin de prendre la mesure de la responsabilité de leur contribution et de leur rôle à jouer. 

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La prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux ne se limite plus aux actions menées par l’entreprise, mais l’engage à son plus haut niveau par la modification de ses statuts et donc le devoir d'inclure cet engagement au cœur de sa stratégie.

Le statut d’entreprise à mission : une opportunité exigeante et engageante

L’engagement dans une démarche de définition d’entreprise à mission implique pour l’entreprise :

  • La définition d’objectifs sociaux et environnementaux associés à l’inscription de la raison d’être dans les statuts de l’entreprise ;
  • La constitution d’un nouveau modèle de gouvernance avec la création d’un comité de suivi dédié ;
  • L’exécution des objectifs fait l’objet d’une vérification tous les deux ans, par un Organisme Tiers Indépendant, selon des modalités définies par le Décret n°2020-1 du 2 janvier 2020 relatif aux sociétés à mission. La première vérification doit avoir lieu dans les 18 premiers mois (sauf exception).

Cette opportunité se veut à la fois exigeante et engageante. Deux risques principaux doivent être envisagés pour les entreprises faisant le pari de s’engager dans cette voie : 

  • Le premier est d’ordre juridique, lié à la révocation du statut de « société à mission » (applicable pour les entreprises ayant défini une raison d’être qui est associée à des objectifs sociaux et environnementaux) ; 
  • Le second est d’ordre réputationnel (applicable dès la définition de la raison d’être) afin d’assurer l’adéquation entre la raison d’être, les moyens mis en œuvre et la transparence dans l’attendu pour éviter l’opposition de parties prenantes

À l'heure où les entreprises sont scrutées de près par leurs parties prenantes, le poids et le choix des mots utilisés pour définir sa raison d’être est donc à maîtriser. Elle ne doit pas seulement être un instrument de communication, mais bien un moteur d’engagement pour aligner actions et stratégie autour des enjeux de développement durable. 

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Vers une intégration dans la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF)

Les entreprises aujourd’hui soumises à la DPEF tiennent déjà compte dans leur réflexion de leurs enjeux sociaux et environnementaux. Toutefois, la définition d’une raison d’être nécessite d’aller plus loin afin de déployer une stratégie RSE, des politiques et des objectifs en cohérence avec la mission que l’entreprise pourra se fixer.

La DPEF intègre la présentation du modèle d’affaire de l’entreprise dans lequel nous pouvons logiquement rattacher la raison d’être. La règlementation en matière de publication extra-financière demande également aux entreprises de décrire les politiques mises en œuvre pour couvrir les principaux risques extra-financiers qu’elles ont identifiés. Les politiques renvoient à la notion d’engagement et à la définition d’objectifs. De fait, il parait légitime voir nécessaire de combiner les réflexions sur la loi PACTE avec les éléments déjà mis en œuvre dans le cadre de la DPEF notamment dans un souci d’efficience et de cohérence globale.

La vérification par un Organisme Tiers (OTI) indépendant est requise pour s’assurer de la conformité et la sincérité de la DPEF. Il est donc tout à fait envisageable que le même OTI, accrédité par le COFRAC, puisse s’appuyer sur une partie des travaux réalisés dans le cadre de la DPEF pour réaliser la vérification de l’exécution des objectifs fixés par l’entreprise dans le cadre de sa mission. Les deux démarches ne doivent pas être menées en silos sous peine de perdre en lisibilité pour les parties prenantes.

Entreprise à mission et raison d’être : un moteur d’innovation et de transformation 

Dans un contexte économique tendu, l’engagement des entreprises sur les enjeux du développement durable est un élément attendu de la part des investisseurs, de la société civile, et des parties prenantes. La formulation et la mise en pratique d’une raison d’être répondent donc à ces expectatives. 

Les défis sociaux et environnementaux de notre ère et les appels à l’action lancés récemment par les étudiants signataires du « Manifeste pour un réveil écologique » ou encore par des salariés d’Amazon pour une meilleure prise en compte de l’empreinte environnementale de la société, témoignent de la nécessité pour les entreprises de « faire différemment » et d’inclure la responsabilité au cœur de leur stratégie.

Enfin, cette nouvelle disposition juridique propose aux entreprises volontaires la chance de se saisir des enjeux clefs de leur secteur respectif. Certaines entreprises françaises se sont rapidement emparées de la question : Carrefour, Atos, Crédit Agricole et la MAIF ont déjà formulé leur raison d’être. La mesure de la preuve sera alors un enjeux stratégique pour concrétiser leur raison d’être. 

Parallèlement, Bruno Le Maire a incité, en septembre dernier, l’Agence des Participations de l’Etat (entreprises dont l’Etat est actionnaire) à se doter d’une « raison d’être » courant 2020 (article paru dans les Echos en date du 12 septembre 2019). Le pari de la transformation semble devenir incontournable.