Flash BankNews n°30 - pilotage du capital réglementaire suite au passage à IFRS 9

Au 1er janvier 2018, les banques appliquant les normes IFRS rentreront dans une nouvelle ère avec la mise en œuvre de la norme IFRS 9 relative aux instruments financiers, en lieu et place de l’actuelle norme IAS 39.

Bien que l’adoption de cette nouvelle norme induise de multiples changements, c’est le volet 2 de la norme sur le provisionnement qui a fait l’objet d’une nouvelle consultation du Comité de Bâle le 11 octobre car le nouveau mode de dépréciation aura indéniablement un impact sur le capital réglementaire, à court comme à long terme.

Pour rappel, IFRS 9 engendrera une reconnaissance plus rapide des pertes de crédit, imposant un modèle de « pertes attendues » (Expected Credit Losses – ECL) et non plus de « pertes avérées » comme c’est le cas sous IAS 39, et ce, notamment (a) pour tous les actifs financiers comptabilisés au bilan dès lors qu’ils sont évalués au coût amorti ou à la juste valeur par capitaux propres recyclables, ainsi que (b) pour les engagements de financement donnés et les garanties financières octroyées.

Afin d’anticiper ces impacts, le Comité de Bâle propose donc d’envisager plusieurs scenarii en termes de pilotage du capital réglementaire que nous allons vous exposer dans ce nouveau Flash Bank News.

IFRS 9 : rappel des dates-clés

Avant d’expliciter les potentielles conséquences d’IFRS 9 volet 2 sur le capital réglementaire, voici quelques dates-clés à garder en tête :

  • 24 juillet 2014 : publication par l’IASB (International Accounting Standards Board) de la version finale de la norme IFRS 9 (non homologuée par l’Union Européenne à ce jour)
  • 18 décembre 2015 : orientations du BCBS (Basel Committee on Banking Supervision) sur la comptabilisation des pertes de crédit attendues (ECL)
  • 26 juillet 2016 : orientations provisoires de l’EBA (European Banking Authority) sur les pratiques des institutions en matière de risque de crédit et de comptabilisation des pertes de crédit attendues
  • 1er janvier 2018 : entrée en vigueur de la norme IFRS 9 pour les banques

A noter que les sociétés d’assurance appliqueront la norme IFRS 9 à compter du 1er janvier 2021, en coordination avec la mise en œuvre de la norme IFRS 4 phase 2 (contrats d’assurance) tandis que le sort des bancassureurs n’est pas encore scellé, l’IASB ayant rejeté l’idée d’un report de l’application d’IFRS 9 tandis que la Commission Européenne devra se prononcer d’ici fin 2016.

Traitement actuel des provisions dans le capital réglementaire

Depuis le passage à Bâle II, il existe deux gestions différentes des provisions dans le domaine prudentiel :

Entités en méthodologie standard

  • Aucun calcul d’EL prudentielle (Expected Loss)
  • Les provisions spécifiques sont déduites de la valeur brute comptable, i.e. que le calcul des RWA s’effectue sur la base d’un EAD (Exposure At Default) net de provisions spécifiques
  • Les provisions collectives, quant à elles, sont comparées à 1,25% des RWA en méthodologie standard du risque de crédit (hors titrisation et autres actifs ne correspondant pas à des obligations de crédit) et le minimum des deux montants est repris dans les fonds propres de catégorie 2 (Tier 2) – article 62 (c) du Règlement CRR

Entités en méthodologie IRB

  • Il existe plusieurs calculs d’EL prudentielle (formule PD x LGD x EAD / forfaitaire / nul), fonction de la catégorie d’exposition
  • Il n’y a pas de distinction de traitement entre provisions spécifiques et collectives
    • Si le stock global de provisions est supérieur aux EL, alors cet excédent est comparé à 0,6% des RWA en méthodologie IRB du risque de crédit (hors titrisation et actions) et le minimum des deux montants est repris dans les fonds propres de catégorie 2 (Tier 2) – article 62 (d) du Règlement CRR
    • Si le stock global de provisions est inférieur aux EL, alors le déficit est directement déduit des fonds propres de base de catégorie 1 (CET1) – article 40 du CRR

Ce mécanisme, bien que désormais rodé au niveau des établissements, présente plusieurs limites, notamment celle relative à la catégorisation entre provisions spécifiques et collectives qui ne repose pas sur un classement comptable et qui diverge d’une juridiction, voire d’un établissement à l’autre, ce qui va à l’encontre de la volonté du superviseur européen, à savoir réduire la variabilité des modèles et promouvoir une plus grande harmonisation au sein des banques européennes (principe du level playing field).

Quid du traitement réglementaire futur avec l’entrée en vigueur d’IFRS 9 ?

Même si les impacts ne sont pas encore véritablement connus, on s’attend à ce que l’entrée en vigueur d’IFRS 9 entraîne globalement un impact négatif significatif sur le niveau de fonds propres CET1, du fait d’un niveau de provisionnement beaucoup plus important dû au :

  • calcul de perte attendue à 12 mois sur les encours sains (bucket 1) alors qu’aucune provision n’était calculée jusqu’à présent ;
  • calcul de perte attendue à maturité pour les encours ayant subi une dégradation significative (bucket 2) ;
  • calcul de perte attendue à maturité pour les encours douteux (bucket 3) (impact plus modéré du passage à IFRS 9, en comparaison des buckets 1 et 2).

Or, le capital CET1 est très sensible, à la fois pour des raisons d’exigences réglementaires (niveau plancher fixé à 4,5% + coussins de fonds propres) et de communication avec le marché.

Le Comité de Bâle propose ainsi plusieurs solutions à court terme dès le passage à IFRS 9 :

  • Approche 1 - Comparaison entre le capital réglementaire CET1 au 31 décembre 2017 (sous IAS 39) versus le capital réglementaire CET1 au 1er janvier 2018 (sous IFRS 9) : si le capital CET1 décroit, l’impact négatif pourrait être ajusté transitoirement et étalé sur 3 à 5 ans (net d’impôt), ce qui permettrait de niveler l’effet négatif mais figerait l’impact dans le temps et obligerait à gérer un nouvel ajustement transitoire combiné aux actuels filtres et déductions appliqués aux fonds propres CET1 (phase-in)
  • Approche 2 - Détermination d’un pourcentage égal au rapport de la baisse du capital réglementaire CET1 dû au passage à IFRS 9 sur le montant total de provisions au moment du passage : le mécanisme de l’ajustement transitoire de l’approche 1 serait repris mais calculé sur un montant égal au stock de provisions à une date donnée multiplié par le pourcentage mentionné ci-avant, ce qui permettrait d’avoir une gestion plus dynamique malgré un pourcentage figé dans le temps.
  • Approche 3 - Prise en compte du montant réel des provisions comptables des buckets 1 et 2 dès le passage à IFRS 9 et ce, à chaque arrêté, en appliquant un pourcentage défini par le Comité de Bâle, dépendant de la durée de la période transitoire

Quelle que soit l’approche retenue, les entités en méthodologie IRB devront retraiter du montant de provisions l’existence d’un éventuel déficit d’EL avant le passage à IFRS 9.

Dans tous les cas, les propositions du Comité de Bâle matérialisent le dilemme actuel entre rechercher davantage de convergence entre les normes comptables et les normes prudentielles, bien qu’assises sur des logiques différentes (respectivement principles-based versus rules-based), et éviter un impact négatif trop important sur le capital réglementaire, alors même que la finalisation du corpus Bâle III ne cesse d’être l’objet de vives critiques à l’encontre du Comité de Bâle avec la crainte d’une augmentation majeure des exigences en fonds propres.

Au-delà de cette gestion à court terme, le Comité de Bâle ouvre également une réflexion plus globale sur le traitement réglementaire des provisions et des EL en proposant des évolutions à plus long terme :

  • un alignement du traitement des provisions pour les entités en méthodologie standard du risque de crédit sur celui des entités en méthodologie IRB, signifiant que les provisions spécifiques ne seraient plus déduites de la valeur brute comptable dans le ratio de solvabilité, nécessitant par ailleurs de prendre en compte les impacts sur les autres ratios (levier et grands risques principalement) ;
  • une révision de la classification entre provisions spécifiques et collectives comme évoqué plus haut, jusqu’à la possibilité de ne plus distinguer les deux catégories, notamment si la méthodologie standard est commune à la méthodologie IRB ;
  • l’introduction d’un calcul d’EL en méthodologie standard avec la détermination d’un taux d’EL par classe d’actif de contrepartie et selon la même granularité que les taux de RWA, sauf pour les encours en défaut pour lesquels l’EL serait également basée sur le calcul de l’ECL. Le taux serait alors fonction de la PD et de la LGD en méthodologie IRBF ;
  • la suppression de la reprise de l’excédent de provisions dans les fonds propres Tier 2 ;
  • la revue du traitement des provisions dans le cadre du pilier 2, notamment de l’excédent de provisions dont la prise en considération permettrait de minorer le besoin additionnel en fonds propres.

Par cette consultation, le Comité de Bâle aborde une revue que nombre de banques attendaient du fait du tsunami que représente IFRS 9 et de la sensibilité du capital réglementaire, dans une conjoncture économique et réglementaire nécessitant un pilotage de plus en plus fin du capital.

Il reste désormais à voir comment les professionnels du secteur vont réagir face à ces propositions et de quelle manière les délais de mise en œuvre vont pouvoir s’articuler avec les autres révisions en cours, au premier rang desquelles la révision de l’approche standard et des modèles internes du risque de crédit.

Audrey Cauchet

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