Préférences des consommateurs ou incitation politique : quels moteurs du changement pour les secteurs automobile et logistique ?

La préoccupation du réchauffement climatique n'a cessé de croître ces dix dernières années De nombreux pays comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni, le Brésil ou encore l’Australie, considèrent le changement climatique comme une menace urgente et un risque majeur pour la sécurité. Les catastrophes naturelles telles que les récents incendies de forêt en Australie, Sibérie et Californie et les campagnes telles que "Fridays for the Future" ont effectivement participé à faire avancer le débat. Mais pour les secteurs de l’automobile et de la logistique : comment cette préoccupation se traduit-elle dans les choix des consommateurs ?

Jusqu'à présent, il semble que les incitations politiques, la réglementation et l'application des lois aient été les moteurs du changement pour ces secteurs, bien plus que les préférences des consommateurs. Toutefois, les consommateurs sont prêts à modifier leur comportement d'achat si le coût devient plus faible, la voiture restant un achat coûteux pour les ménages. Mais la pression des clients n'a, jusqu'à présent, pas impacté de manière significative les schémas de demande.

En 2020, la crise sanitaire a modifié ce constat. "Il y a eu des changements soudains de comportement qui étaient impossibles à prévoir", selon Louis Burns, associé chez Mazars. "Pour l'instant, il est difficile de savoir lesquels sont permanents ou temporaires".

Les consommateurs veulent du « durable » ... s'ils peuvent se le permettre financièrement

On constate que les consommateurs peuvent s’oriente vers des alternatives plus durables lorsque que l’on regarde les comportements sur les véhicules électriques (VE). De fait, les VE restent nettement plus chers que leurs homologues thermiques en Europe et aux États-Unis. Néanmoins, les consommateurs s'orientent lentement vers l’avenir électrique : en juin 2020, 6 % des ventes de voitures au Royaume-Uni étaient des VE, contre 1 % un an plus tôt., de même qu’en France.

En revanche, dans le domaine de la logistique, la pression exercée par les utilisateurs finaux pour devenir plus responsable écologiquement est beaucoup moins forte. Naturellement, comme le souligne Olivier Guillot, car ces sujets de « back office » ne représentent pas une préoccupation pour les consommateurs, qui n’achètent pas directement de la logistique mais un produit, ou un service qui lui, nécessite de la logistique. Lorsqu'il y a une poussée pour le changement, elle provient plutôt d'actionnaires militants ou de mouvements sociaux. "En Norvège, par exemple, il existe un mouvement de développement durable en pleine expansion qui attire l'attention et le financement du monde entier", explique Rachel Lawton, directrice Transport & Logistique chez Mazars. L'Ocean Opportunity Lab, regroupant des entrepreneurs et innovateurs engagés dans le transport maritime écologique, fait partie de ce mouvement.

« Les changements au nom du développement durable se produiront probablement plus tôt en Europe qu'aux États-Unis », prédit Richard Karmel, Directeur associé chez Mazars, "Au niveau des entreprises, nous savons que les États-Unis sont loin derrière l'Europe. Aux États-Unis, seules les grandes marques semblent prendre au sérieux les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) Peut-être parce qu'elles sont, elles-mêmes, plus globales".

M. Karmel note cependant un changement générationnel, visible au sein même de Mazars. "Rien qu'en regardant notre nombre de jeunes diplômés au fil des années, les questions ESG sont beaucoup plus discutées". Un sondage d'opinion plus large montre qu’ils se sentent plus concernés par le développement durable. S’ils venaient à confirmer dans la durée la préférence d’un véhicule partagé à celui d’un véhicule acheté, cela peut constituer, à terme, un vent contraire majeur pour les business model actuels.

Pour l’heure, si les préférences des consommateurs commencent à modifier les pratiques des secteurs de l'automobile et de la logistique, M. Karmel affirme que "la proportion des consommateurs qui se soucie des questions ESG est probablement en augmentation, mais elle reste néanmoins minoritaire".

La crise, accélérateur du changement ?

La pandémie pourrait faire évoluer ces tendances : "La pandémie a mis un terme brutal à l'essor du covoiturage : le partage des voitures n'est tout simplement pas possible sans la mise en place d'un régime strict de nettoyage onéreux", explique M. Burns.

"Les entreprises de location de voitures doivent suivre des procédures de nettoyage très strictes entre chaque location et respecter les exigences de distanciation sociale en matière de collecte et de dépôt des voitures. Il est trop tôt pour affirmer que cela constitue un frein sérieux et durable à la croissance du marché de l'autopartage".

Certains indicateurs montrent déjà qu'à la lumière de la crise, les employés commencent à télétravailler de façon permanente. Compte tenu du ralentissement économique, les entreprises ont certainement intérêt à l'encourager à court terme. M. Burns estime que cela pourrait modifier le choix des consommateurs entre la propriété et la location d’un véhicule. « Cela pourrait conduire à une révision de l'opinion sur le nombre de voitures dont la population a besoin pour se déplacer. Si la nécessité de se déplacer sur son lieu de travail est réduite, passant de 5 à 2 jours, cela pourrait-il être le point de basculement pour les services "à la demande" tels que les taxis ou les voitures de location ? »

Enfin, la crise a également été un accélérateur de tendance, avec le développement de l’usage du vélo, et leur formidable essor comparé à l’année précédente.

Nouvelles incitations, nouvelles sanctions

A l'heure actuelle, l’incitation politique est un moteur de changement plus fort que les préférences des consommateurs, "Les déplacements dans les grandes villes changent au regard du durcissement des réglementations sur la qualité de l'air", explique M. Burns. "La plupart d'entre elles visent à exclure les voitures à carburant fossile des centres-villes. Cela pourrait signifier moins de places de parking, plus d'espaces piétons ou de pistes cyclables ".

Au Royaume-Uni, le gouvernement subventionnait les véhicules hybrides. Il n'était pas simple d’estimer en quoi cette politique stimulait la demande jusqu'à ce que le gouvernement supprime la subvention en 2019. Les ventes ont depuis stagné. "Avec la suppression de la subvention, l'incitation à passer à un véhicule électrique a été réduite", explique Burns.

Il est tout à fait pertinent de comparer cette situation à celle de la Norvège, qui est en avance dans l'adoption des véhicules électriques. "Depuis les années 1990, le gouvernement norvégien a été cohérent dans son approche", dit-il. "Les conducteurs de véhicules électriques (VE) bénéficient de toute une série d'avantages en termes de coûts, notamment l'absence de taxe routière, la réduction des frais de péages et de stationnement, ainsi que l'exemption de la TVA à 25 % sur les ventes de voitures. Le gouvernement a également investi dans les infrastructures nécessaires aux VE. Il est plus facile et moins cher de conduire un VE en Norvège qu'au Royaume-Uni, donc de plus en plus de gens le font".

On observe une dynamique similaire dans le secteur des transports et de la logistique, selon Mme. Lawton. "L'Organisation maritime internationale a introduit de nouvelles réglementations qui limitent la teneur en soufre du fioul des navires. Les propriétaires de navires qui ne s'y conforment pas ne peuvent pas assurer leurs navires ou les exploiter dans certains ports et certaines eaux. Dans ce secteur, la législation et la réputation sont probablement les principaux moteurs du changement".

Elle souligne toutefois certaines innovations. "Maersk cherche des moyens de rendre les moteurs de ses navires plus efficaces et des entreprises telles que Shell cherchent également à innover en matière de rendement énergétique et de production de carbone". Olivier Guillot, associé Mazars ajoute « L’innovation passe également par le GNL (Gaz Naturel Liquéfié) sur lequel CMA CGM, un des leaders mondiaux du transport maritime français, a misé avec une commande de neuf porte-conteneurs fonctionnant avec ce carburant. Le groupe est également engagé sur l’innovation liée à l’hydrogène, en s’associant à Energy Observer.

Il semble que l'inquiétude générale concernant les questions de climat et de développement durable ait créé un large groupe de consommateurs qui préfèrent se tourner vers des moyens de transport plus responsables, si et seulement si les coûts baissent et que l’expérience utilisateur augmente. "À mesure que le coût des batteries et autres composants clés des VE diminuera, les consommateurs se tourneront de plus en plus vers la mobilité durable", déclare Mme Karmel.