Crise des semi-conducteurs : de nouveaux enjeux à relever pour les acteurs de l’automobile

Janvier 2022 | Affectant le secteur automobile comme jamais auparavant, la pénurie des semi-conducteurs contraint équipementiers, constructeurs, loueurs et distributeurs à louvoyer. En attendant la sortie de crise, la prime est à la flexibilité stratégique.

Le secteur automobile traverse une période délicate dont les difficultés sont en grande partie liées à la pénurie mondiale de semi-conducteurs et aux tensions observées sur les matières premières stratégiques (l’acier et le plastique). Affectant fortement les capacités de production des constructeurs et des équipementiers, cette pénurie engendre des conséquences sur l’ensemble de la chaîne de valeur automobile, et en particulier des difficultés à fixer les coûts. Contrairement à de nombreux phénomènes antérieurs, qui ont vu ce marché souffrir d’une crise de la demande, c’est bien d’une crise historique de l’offre qu'il s’agit. L’arrêt des usines, aggravé par l’incendie d'un site de production de semi-conducteur japonais en mars 2021, engendre des « stop and go » constants. Malheureusement, cette crise des semi-conducteurs ne devrait pas se résoudre avant la fin 2022. Les analystes évoquent même 2023, voire 2024 pour l’Europe. La sortie de crise est conditionnée par de nombreux facteurs dont l’augmentation des capacités de production des principales fonderies de semi-conducteurs, et bien sûr par l’évolution de la crise du Covid-19, qui paralyse de nombreux sous-traitants, notamment dans le sud-est asiatique.

Un manque de solution face à une fiscalité verte contraignante

S’ajoute à ces facteurs une fiscalité énergétique toujours plus contraignante pour l’automobile, notamment en France, à travers les zones à faibles émissions (ZFE). Dans la zone du Grand Paris, par exemple, une restriction de circulation pour les véhicules Crit’air 3 sera mise en application au 1er juillet 2022 et pour les véhicules Crit’air 2 au 1er janvier 2024. Cette situation engendre une certaine attente de disponibilité de modèles hybrides, semi-hybrides ou électriques sur le marché, qui permettront de circuler, mais, embarqueront toujours plus de micro-processeurs. Cela se traduit notamment par un bond en France de la part des véhicules électriques dans les ventes en 2021. Cependant, ce marché reste lui aussi très impacté par la crise de l’offre que connait actuellement le secteur automobile.

Une prolongation de la durée de vie des parcs automobiles

Dans un tel contexte, plutôt inédit, un des enjeux pour chaque maillon de la chaîne de production et de distribution automobile consiste à avoir la capacité de répondre à la demande et de flexibiliser son activité. Le prolongement de la durée de vie des parcs automobiles est l’une des réponses à cette crise. Une automobile neuve étant actuellement livrée plus de 6 mois, voire 9 mois, après sa commande, le véhicule d’occasion (VO) fait son grand retour. Ainsi, alors qu’ils ont un an de plus, certains VO affichent un prix de vente plus élevé en 2022 qu’en 2021. Pour les loueurs cela représente une opportunité de conserver une année de plus un bien déjà amorti et qui prend de la valeur. Alors qu’ils revendaient jusqu’à maintenant leurs véhicules d’occasion à des brokers, les loueurs sont appelés à réinventer leur business model. Un groupe de distribution a ainsi développé un site de remise en état des véhicules ad hoc, et ce indépendamment du circuit des concessionnaires. Ce phénomène est aussi de nature à ralentir le renouvellement du parc. Face à la crise de l’automobile, les loueurs se mettent également à proposer de l’intermodalité et d’autres modes de mobilité comme les trottinettes.

Un renouvellement de la stratégie commerciale

Pour les constructeurs, il s’agit de réinventer le mode d’animation commerciale de leurs réseaux de distribution. Comment le réseau peut-il se réinventer pendant cette « année blanche » ? Il doit être suffisamment agile pour saisir les opportunités actuelles du marché, la revente en seconde main et la location longue durée. Cette crise est aussi une opportunité pour les activités de seconde monte. Dans l’ensemble toutefois, le climat d’incertitude règne au sein du secteur automobile, et notamment sur les choix que doivent faire les acheteurs quant à la motorisation de leurs véhicules. Miser sur le tout électrique par exemple, comporte des zones d’incertitude et force est de constater que la question de la recharge n’est pas totalement résolue : seulement la moitié des 100 000 bornes de recharge annoncées par les pouvoirs publics pour fin 2021 est d’ores et déjà mise en place. C’est sans évoquer le sujet des habitudes des conducteurs, qui ne sont clairement pas encore accoutumés à la recharge régulière de leur véhicule. Le modèle hybride semble donc être le plus adapté aux usages du moment des consommateurs citadins, utilisant leur véhicule pour les fins de semaines. La problématique du prix d’achat élevé de ces modèles demeure à moyen terme, tout l’enjeu sera de déterminer comment faire en sorte que les modèles hybrides, semi-hybrides ou électriques, plutôt acquis et utilisés par des urbains aisés, deviennent accessibles au marché de masse.

La question des moyens commerciaux doit elle aussi être revisitée à l’aune de cette crise. Les constructeurs doivent actualiser leur stratégie de remise afin d’assurer la vente des véhicules qu’ils arrivent à produire. De même pour les loueurs, qui doivent repositionner leurs ventes par rapport au marché, avec un enjeu important de rentabilité.

Des défis opérationnels et humains doivent être relevés

Dans ce contexte de « stop and go » et de volatilité de la demande, les distributeurs font face à de nombreuses difficultés opérationnelles. Comment annuler ou modifier une livraison ? Comment absorber les flux d’appels dûs aux problèmes opérationnels qui sont engendrés par la pénurie ? Cela les contraint à renforcer les compétences de l’après-vente et met à rude épreuve le système d’information afin de s’assurer que tous les flux soient bien catégorisés et s’interfacent correctement avec les outils comptables. Afficher en temps réel la disponibilité des véhicules s’avère essentiel, ce critère comptant presque plus à l’heure actuelle dans le schéma commercial, qu’une option de véhicule. Par ailleurs, constructeurs, loueurs et distributeurs doivent trouver les moyens de remobiliser leurs forces de vente, en leur impulsant de nouvelles motivations pour livrer la clientèle. Enfin, il s'agit de s’assurer que le BFR (Besoin en Fonds de Roulement) est correctement financé car il représente aussi un enjeu de poids.

La géopolitique au cœur des solutions

Pour l‘année qui démarre, les acteurs devront faire stratégiquement preuve d’autant plus de souplesse que les conditions de marché vont largement dépendre du contexte géopolitique. Le plan d’investissement de 30 milliards d’euros en faveur des technologies d’avenir, annoncé dans le cadre de France 2030, constitue bien entendu un début de réponse. Avec 4 milliards d’euros investis dans le secteur des transports pour un objectif de 2 millions de véhicules électriques et hybrides, celui-ci est de nature à changer la donne.  La construction de deux gigafactories de batteries en Europe par Stellantis, Mercedes et TotalEnergies est aussi une bonne nouvelle. Encore faudrait-il qu’un tel projet voie le jour pour les semi-conducteurs, car pour l’heure 92 % des puces les plus avancées sont exclusivement fabriquées à Taiwan.

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