Transformation du secteur public : les directions financières au cœur du réacteur

Le 12 octobre 2019 |
Sous l’impulsion des évolutions réglementaires, sociales, sociétales et territoriales, le service public est de par sa nature et sa raison d’être en constante mutation. Toutefois, c’est une métamorphose profonde, inédite et multiforme que s’apprêtent à vivre les groupes publics et parapublics, parfois affaiblis par la baisse de leur activité historique et par la contraction de leurs moyens et effectifs. Car outre l’accélération de la transformation digitale et la pression exercée par le privé, c’est surtout le contexte complexe et incertain, renforcé par les nouvelles attentes des usagers, qui motivent la nécessité pour le secteur de se réformer massivement et sans délai, qui plus est au regard des enjeux et risques sociaux, sociétaux et environnementaux. Or, comment « faire plus ou différent avec moins », tout en étant performant et au plus près des besoins de chaque Français ?

De l’importance d’un modèle économique agile

Alors que le secteur public voit ses ressources s’amenuiser, les usagers, eux, redoublent d’exigences à son égard et souhaitent à la fois la simplification, la transparence, la rapidité et l’accessibilité de ses services. En véritables clients souhaitant être entendus et voir leurs opinions et expectatives prises en considération, les contribuables et usagers attendent de l’Etat et de ses opérateurs d’être placés au cœur du système et des réflexions. Et ce, notamment parce qu’ils y ont été accoutumés par les stratégies plus que jamais customer centric adoptées par nombre d’acteurs privés vers lesquels ils n’hésitent pas à se tourner, au détriment de l’offre publique. Pour illustration, si La Poste a le monopole du courrier, elle n’a en revanche pas celui du colis ni du transport express, segment du marché en pleine ébullition, disrupté par les géants du e-commerce désormais capables de proposer des délais de livraison toujours plus courts grâce à des solutions logistiques innovantes, une excellence opérationnelle avérée et des modèles organisationnels et RH privilégiant la flexibilité. Malgré ses nombreux atouts, difficile pour La Poste de tenir la cadence et de rivaliser dans ces conditions, alors même que des acteurs mondiaux d’un nouveau genre sont en capacité de bousculer le marché.

En outre, quand le privé a l’avantage concurrentiel de n’être ni confronté à l’obligation d’un maillage territorial serré ni soumis à des coûts de « distribution » élevés et par nature peu compressibles – c’est le cas des mairies, postes, gares, usines de production d’électricité… – les groupes publics et parapublics n’ont d’autre choix que de redoubler d’ingéniosité et de créativité dans la redéfinition de leur modèle. Pour la plupart de ces acteurs, le développement d’une offre multiservices de proximité basée sur l’existant s’avère être une stratégie gagnante puisque permettant d’amorcer à moindre coût le processus de diversification tout en continuant de dégager des marges pour abonder les comptes. La Poste est encore ici un excellent exemple : en perdant 30% de son activité « courrier » en l’espace de 5 ans, elle a su faire preuve d’une réelle agilité en capitalisant notamment sur la densité de son réseau et la polyvalence de ses collaborateurs. En effet, en faisant par exemple de certains de ses bureaux de poste des centres d’examen au code de la route et en repensant les missions des facteurs, La Poste renouvelle progressivement ses services et fait évoluer ses métiers tout en poursuivant sa transition digitale. Même démarche avec les autres filiales du Groupe, en atteste le lancement récent de la banque 100 % mobile Ma French Bank.

Cependant, autofinancer sa mutation tout en générant des bénéfices demeure un défi de taille pour le secteur public français dont l’hétérogénéité des organisations, plus ou moins matures et engagées dans leur propre transformation, nécessite l’adaptation voire le renouveau immédiat de ses business models. Plus innovants, plus souples, plus agiles… ces derniers doivent pouvoir être à même de faire face aux cycles accélérés et évolutions permanentes de notre ère. C’est pourquoi la diversification des activités et le réemploi des infrastructures existantes couplés à l’exploitation massive des données apparaissent comme un trio gagnant et interdépendant, sorte de levier unifié à haut potentiel, sur lequel les groupes publics et parapublics peuvent d’ores et déjà capitaliser. Au premier plan face à ces problématiques : les directions financières et notamment le contrôle de gestion.

Faire du contrôle de gestion l’un des pilotes de la transformation

Compte tenu de la perspective d’optimisation des coûts, de recherche de relais de croissance et de renouvellement de la proposition de valeur, le contrôle de gestion, organe situé au carrefour des flux d’information, est particulièrement bien positionné pour éclairer et instruire les choix des dirigeants. De par sa maîtrise des chiffres et sa capacité à fournir des indicateurs fiables et intelligibles, les directions financières voient leur rôle progressivement évoluer vers celui de « business partner » voire de « performance partner ». Aujourd’hui, on attend effectivement de ce spécialiste à double casquette qu’il puisse à la fois repérer des leviers de performance et de croissance tant en interne qu’en externe, mais aussi qu’il soit en mesure de contribuer au pilotage de la transformation de l’organisation en développant une culture de la performance à tous ses étages – de la direction générale aux agents présents sur l’ensemble du territoire – mais également qu’il monitore des éléments non financiers révélateurs ou accélérateur de la transformation, comme la qualité de service ou l’engagement des collaborateurs.

L’expert de l’analyse des faits passés qu’est le contrôle de gestion a dorénavant tout à gagner à enrichir sa mission de reporting financier et extra financier d’un travail prospectif. Pourquoi ? Parce qu’au vu des enjeux inhérents à cet environnement mouvant, incertain et qui continuera de connaître une succession de réformes, il apparaît impératif de fiabiliser la prise de décision en focalisant l’attention et les ressources publiques sur l’évaluation des gains (économiques et non économiques), risques et conséquences de chaque nouvelle piste stratégique ou opérationnelle, le tout en tenant compte de l’humain. « Quels retours sur investissement peut-on escompter de ce projet à court, moyen et long terme ? » ou « Jusqu’où optimiser la production sans pénaliser la qualité de service et tout en respectant la vocation des missions de service public ? » etc. sont autant de questions fondamentales qui trouveront un début de réponse grâce aux outils innovants à l’instar des méthodes prédictives et prescriptives. S’appuyant sur des algorithmes d’intelligence artificielle, ces procédés, indispensablement complétés par la fine connaissance des contrôleurs de gestion des business models, permettent de livrer des analyses objectives, fiables et rationnelles en mettant en perspective les points de vue.

L’étude des chiffres du passé et de l’avenir par les contrôleurs de gestion s’avère ainsi être une combinaison fructueuse pour éclairer la décision managériale et dégager les marges de manœuvre permettant aux acteurs publics et parapublics de repenser la manière d’opérer leur cœur de métier et de pouvoir se consacrer davantage sur le service rendu et la relation à l’usager, que les Français aimeraient voir renforcés. Loin d’être exclusivement financière, la pression exercée sur le secteur public concerne également les aspects de responsabilité sociétale et de capital humain, d’où la nécessité pour les directions financières de collaborer davantage avec d’autres fonctions supports. Par exemple, avec les gestionnaires internes de flottes automobiles afin de démontrer la contribution du secteur public à la transition énergétique. Ou encore avec les DRH, pour éclairer les corrélations entre bien-être au travail et efficience des processus.

S’appuyer sur les atouts des directions financières pour piloter la transformation, innover, diversifier les activités, poursuivre la transition digitale et l’animation d’un réseau national, capitaliser sur le nouvel or noir qu’est la donnée… Un programme somme toute aussi vaste que prometteur. Néanmoins, cette ambition ne portera ses fruits qu’à condition que les directions financières des groupes publics et parapublics évoluent en véritables écosystèmes « augmentés ». C’est-à-dire en développant des expérimentations avec le monde académique et des startups, grâce à des approches apprenantes de type « POC » (proof of concept), mais aussi en multipliant et croisant les expériences avec les « métiers » opérationnels et les autres fonctions support.

Transformer le secteur public

Quels enjeux pour les directions comptables et financières ?

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