Rapport financier semestriel 2020 : les messages clés de l’ESMA et de l’AMF

Le 11 juin 2020 |
Le 20 mai dernier, l’ESMA et l’AMF ont chacun publié un communiqué détaillant les grands principes à respecter pour la présentation du rapport financier semestriel (et de la communication l’accompagnant, en particulier le rapport de gestion semestriel) dans le contexte du COVID-19. Le communiqué de l’AMF prend en compte la publication de l’ESMA, tout en incluant des messages spécifiques à l’attention des émetteurs français. Quels sont les principaux messages de l’ESMA et de l’AMF ?

Enjeux de la communication financière semestrielle 2020 dans un contexte de crise

L’ESMA rappelle le besoin de fournir une information aussi transparente que possible sur les effets de la crise. La communication financière semestrielle 2020 doit fournir aux investisseurs des informations à jour et utiles pour comprendre l’impact constaté et attendu de la crise liée au COVID-19 sur la position financière, la performance et les flux de trésorerie des émetteurs. L’ESMA souligne également l’importance de donner des informations sur l’identification des principaux risques et incertitudes auxquels les émetteurs sont exposés.

Dans un contexte marqué par de fortes incertitudes sur la durée et l’intensité de la crise du COVID-19 sur l’économie et l’activité des sociétés cotées, l’AMF souligne l’importance de fournir « une information fiable, aussi spécifique et détaillée que possible » car contribuant à maintenir la confiance des marchés. L’AMF souligne en outre que les investisseurs sont particulièrement demandeurs d’informations prospectives notamment sur la situation de liquidité et les besoins financiers.

Les deux régulateurs1 mettent en avant le rôle essentiel que les comités d’audit notamment ont à jouer, afin de garantir la communication d’une information semestrielle de qualité.

Calendrier de publication du rapport financier semestriel

Les sociétés souhaitant retarder la publication de leur rapport financier semestriel compte tenu de difficultés rencontrées pour respecter le calendrier qu’elles avaient préalablement annoncé, peuvent le faire sous réserve de respecter le délai de publication de trois mois suivant la date de clôture de l’exercice, ainsi que les dispositions du règlement sur les abus de marché 2.

L’AMF invite les sociétés qui seraient dans cette situation à communiquer leur nouveau calendrier au marché dès que possible et à la contacter.

L’ESMA rappelle également que les émetteurs doivent considérer avec attention la prise en compte des événements postérieurs à la date de clôture et donner, le cas échéant, des informations pertinentes en application d’IAS 34 sur les états financiers intermédiaires.

Des informations complémentaires sont attendues dans les états financiers intermédiaires et le rapport semestriel d’activité

  • Informations complémentaires attendues dans les états financiers semestriels

L’ESMA rappelle qu’en application d’IAS 34, l’ampleur des informations fournies doit être proportionnée à l'objectif de donner une mise à jour du dernier jeu complet d’états financiers annuels publié. Compte tenu des événements liés à l'épidémie de COVID-19 ayant impacté le premier semestre, l'ESMA s'attend à ce que cette mise à jour soit particulièrement significative pour les états financiers semestriels 2020.

L’ESMA indique également qu’au-delà des informations minimales requises par IAS 34 dans des comptes intermédiaires condensés, des informations à fournir, requises normalement par les autres normes IFRS dans une perspective d’états financiers complets, peuvent devoir être fournies dans les comptes semestriels 2020, de manière à donner une information pertinente sur les effets de l’épidémie de COVID-19.

En écho aux propos de l’ESMA, l’AMF souligne que certaines informations habituellement fournies dans les états financiers annuels sont néanmoins attendues dès les comptes semestriels et cite, comme l’ESMA, les informations sur des risques financiers (renégociations de dettes, nouveaux financements, bris de covenants, expositions et sensibilités aux risques de crédit et de liquidité et gestion de ces risques) ou sur des sujets ayant entraîné des impacts majeurs.

S’agissant des risques financiers, l’ESMA insiste sur la nécessité de mettre à jour les informations à fournir en lien avec IFRS 7, compte tenu des évolutions constatées depuis le 31 décembre 2019. L’ESMA souligne également que certaines de ces informations sont aussi pertinentes en lien avec le calcul des pertes de crédit attendues conformément à IFRS 93.

Du fait de la crise, les états financiers semestriels 2020 de nombreuses sociétés vont nécessiter d’avoir recours à des jugements et hypothèses significatifs dont l’ESMA et l’AMF considèrent qu’ils pourront s’avérer plus structurants que d’habitude. Les états financiers semestriels doivent donc présenter ces jugements et hypothèses ainsi que les impacts majeurs comptabilisés. L’ESMA et l’AMF donnent comme exemples la prise en compte de certaines mesures gouvernementales, les dépréciations d’actifs, l’évaluation à la juste valeur, la reconnaissance des impôts différés actifs ou les provisions éventuelles. Sur le sujet des aides gouvernementales, l’ESMA note que la crise actuelle a conduit les Etats à mettre en place différents dispositifs de soutien aux entreprises. Or l’accès à telle ou telle mesure de soutien peut être soumis au respect de conditions spécifiques. L’ESMA recommande que les émetteurs soient transparents quant à l'application de ces mesures en termes d'éligibilité, de conditions et de conséquences sur les états financiers, ainsi qu'en termes de jugements sous-jacents mis en œuvre.

  • Informations complémentaires attendues dans le rapport semestriel d’activité

Concernant les informations présentées dans le rapport semestriel d’activité, l’ESMA recommande que les émetteurs fournissent une information détaillée et spécifique à l’entité. L’ESMA et l’AMF citent ainsi les informations attendues suivantes :

    • commenter les impacts de l’épidémie sur les orientations stratégiques, la performance, les flux de trésorerie et les agrégats bilanciels ;
    • préciser les mesures mises en place par la société pour limiter les effets de la crise (notamment aides spécifiques demandées ou obtenues) ;
    • indiquer les décisions stratégiques ou opérationnelles prises ou anticipées et si possible leurs impacts attendus.

Les deux régulateurs soulignent l’importance de donner une information pédagogique, en précisant les hypothèses retenues et en apportant des éclairages sur les chiffres communiqués dans les comptes.

L’information ainsi présentée dans le rapport de gestion semestriel doit compléter celle donnée dans les états financiers. L’AMF indique que « l’objectif n’est pas de dupliquer les informations présentées au sein des états financiers et celles incluses dans le rapport semestriel d’activité, mais de veiller à la cohérence des informations présentées dans l’ensemble de la communication financière ».

Présentation des effets de la crise du COVID-19 dans les états financiers

En cohérence avec les précisions apportées par l’ESMA dans le cadre de la mise à jour de son Q&A sur les indicateurs alternatifs de performance (cf. ajout de la question 18, spécifique à l’application des guidelines de l’ESMA dans un contexte d’épidémie de COVID-19 ; pour plus de précisions cf. Supplément DOCTR’in d’avril 2020), le régulateur boursier européen appelle à la prudence quant à une présentation séparée des impacts de la pandémie de COVID-19 au sein du compte de résultat et encourage les émetteurs à fournir des informations qualitatives et quantitatives sur les impacts significatifs comptabilisés dans une note séparée de l’annexe.

L’AMF précise ce message en lien avec la pratique usuelle, en France, de recours à une présentation en éléments non courants pour certains produits ou charges considérés comme inhabituels, anormaux et peu fréquents (cf. Recommandation n°2020-01 de l’ANC).

  • Sauf cas particulier, il n’est pas approprié d’isoler les effets du COVID-19 dans les éléments non courants du compte de résultat

Pour un grand nombre de sociétés, les effets de l’épidémie sont en effet répartis dans l’ensemble du compte de résultat et certains éléments ne peuvent être isolés (soit parce qu’ils ne sont pas comptabilisés, comme c’est le cas avec une baisse de chiffre d’affaires, soit parce qu’ils ne peuvent être déterminés de manière fiable). De ce fait, l’AMF estime qu’une présentation au sein des éléments non courants du compte de résultat « risque d’être préjudiciable à la compréhension de la performance financière de la société ».

Ceci étant dit, les pratiques passées des émetteurs en termes de présentation des éléments non courants au compte de résultat peuvent être maintenues, par exemple s’agissant de la présentation de certaines dépréciations d’actifs ou de coûts de restructuration.

  • Les effets du COVID-19 devraient être regroupés au sein d’une note spécifique

L’AMF indique qu’une note spécifique regroupant les effets de l’épidémie de COVID-19 pourrait être utile aux investisseurs. Cette note devrait indiquer chaque ligne ou sous-total des états financiers primaires impacté par les effets du COVID-19, ainsi que les hypothèses de calcul sous-jacentes ayant été retenues.

S’agissant de la communication financière au sens large, l’AMF rappelle que l’utilisation d’indicateurs alternatifs de performance hors effet COVID-19 n’est pas appropriée, en lien avec le Q&A de l’ESMA précité. L’AMF souligne également que les effets du COVID-19 sur la performance mentionnés dans les communiqués sur les résultats semestriels ne doivent pas être présentés avec plus de prééminence que les indicateurs issus des états financiers.

Quelle est l’approche à retenir sur la continuité d’exploitation, les tests de dépréciation et les contrats de location ?

  • La continuité d’exploitation

Dans le contexte actuel, l’ESMA et l’AMF soulignent l’importance de réapprécier l’hypothèse de continuité d’exploitation.

Selon l’AMF, une explication détaillée des éléments (i.e. aides de l’Etat, trésorerie disponible, négociations en cours, etc.) pris en compte pour considérer que l’hypothèse de continuité d’exploitation peut être maintenue, permettra de maintenir la confiance des parties prenantes et la compréhension des états financiers présentés.

  • Les tests de dépréciation des actifs non financiers

L’épidémie de COVID-19 ne constitue pas à elle seule un indice de perte de valeur. Néanmoins, pour les régulateurs, une grande majorité des sociétés devraient identifier des indices de pertes de valeur liés aux conséquences de l’épidémie (comme par exemple, l’arrêté ou la réduction d’activité) et ainsi effectuer des tests de dépréciation sur les actifs incorporels et corporels.

Par ailleurs, l’ESMA et l’AMF ont conscience que ces tests seront particulièrement délicats à réaliser en raison notamment du manque de visibilité pour certaines sociétés.

L’AMF indique que la méthodologie utilisée et la profondeur de la mise à jour des hypothèses seront à adapter au niveau de risque identifié pour chaque unité génératrice de trésorerie (UGT) ou groupe d’UGT testé.

L’ESMA et l’AMF indiquent que certaines sociétés, en particulier celles avec un niveau de risque et un manque de visibilité fort, devront effectuer un calcul de la valeur d’utilité à partir de différents scénarii pondérés. L’ESMA souligne que la pondération de ces différents scénarii doit être calibrée sur la base d'estimations et d’hypothèses raisonnables, justifiables et réalistes, afin d’éviter le risque de biais trop optimistes ou pessimistes. En lien avec la mention faite en introduction du communiqué de l’AMF, les émetteurs français pourront utilement consulter les documents publiés par l’ANC et la CNCC pour trouver des réponses aux questions qu’ils se posent sur la réalisation de ces tests.

Anticipant les demandes du marché, l’ESMA et l’AMF soulignent que les comptes (et, le cas échéant, les communiqués de presse) doivent être transparents sur les hypothèse clés retenues par la direction (par exemple, selon l’AMF, la période attendue de retour à des flux pré-épidémie, l’appréciation des impacts sur la durée du plan d’affaires et dans la détermination de la valeur terminale, les incertitudes existantes, etc.) et les explications des variations significatives des hypothèses clés par rapport aux derniers tests réalisés. La mise à jour des informations données en annexe au titre des tests de dépréciation devrait aussi concerner les analyses de sensibilité.

  • Les contrats de location (amendement IFRS 16 et décision IFRS IC de décembre 2019)

L’AMF indique travailler activement pour faire en sorte que l’amendement apporté tout récemment à la norme IFRS 164 sur les concessions de loyers accordées par les bailleurs aux preneurs, soit adopté en Europe à temps de façon à permettre son application dans les états financiers semestriels 2020. L’ESMA recommande ainsi aux émetteurs de suivre attentivement le processus d’adoption par l’Europe.

Concernant la décision de l’IFRS IC publiée en décembre 20195  sur la détermination de la durée exécutoire des contrats de location et qui est susceptible d’impacter la comptabilisation de certains contrats non directement visés à l’origine par le Comité d’interprétation (en particulier, les baux commerciaux 3/6/9 en France, pour lesquels des travaux sont en cours à l’ANC), certaines sociétés pourraient ne pas être en mesure de finaliser leurs analyses et modifications nécessaires pour l’arrêté semestriel, dans le contexte de crise et des difficultés inhérentes rencontrées par les émetteurs. L’AMF rappelle que dans ce cas, il est utile d’indiquer l’état d’avancement des analyses en cours, accompagné d’une description qualitative des impacts potentiels si possible.

Ce qu’il faut retenir

    • L’ESMA rappelle le besoin de fournir une information aussi transparente que possible sur les effets de la crise. L’AMF souligne l’importance de fournir « une information fiable, aussi spécifique et détaillée que possible » ainsi que la forte attente des investisseurs en matière d’informations prospectives.
    • Sous certaines conditions comme notamment le respect du délai de trois mois suivant la date de clôture de l’exercice, les sociétés peuvent retarder la publication de leur rapport financier semestriel.
    • Des informations complémentaires sont attendues dans les états financiers intermédiaires. En effet, l’ESMA s’attend à ce que, conformément aux dispositions d’IAS 34, la mise à jour du dernier jeu d’états financiers annuels soit particulièrement significative.
    • L’ESMA et l’AMF soulignent que certaines informations habituellement fournies dans les états financiers annuels sont néanmoins attendues dans les comptes semestriels. Il s’agit entre autres, des renégociations de dettes, expositions et sensibilités aux risques de crédit. L’ESMA souligne également que certaines de ces informations sont aussi pertinentes en lien avec le calcul des pertes de crédit attendues conformément à IFRS 9.
    • L’ESMA et l’AMF considèrent que les états financiers semestriels doivent présenter les jugements et hypothèses significatifs ainsi que les impacts majeurs comptabilisés.
    • Des informations complémentaires sont attendues dans le rapport semestriel d’activité comme, entre autres, les impacts de l’épidémie sur les orientations stratégiques ou les mesures prises pour limiter les effets de la crise. L’information ainsi présentée doit compléter celle donnée dans les états financiers.
    • Sauf cas particulier, il n’est pas approprié d’isoler les effets sur le résultat du Covid-19 dans les éléments non courants du compte de résultat, ni de présenter des indicateurs alternatifs de performance hors effet Covid-19. Les effets du Covid-19 pourront être présentés dans une note spécifique.
    • L’AMF précise également l’approche à retenir sur la continuité d’exploitation, les tests de dépréciation des actifs non financiers et les contrats de location (amendements IFRS 16 non encore adopté par l’Europe et la décision IFRS IC de décembre 2019).

1 Les communiqués de l’ESMA et de l’AMF du 20 mai 2020

En vertu de ce règlement, les sociétés doivent communiquer dès que possible les informations précises, non publiques et de nature à influencer de manière sensible le cours des instruments financiers.

3 Les communiqués de l’ESMA et de l’AMF du 25 mars 2020 traitant des pertes de crédit attendues sous IFRS 9 ont fait l’objet d’une étude dans le n°163 de DOCTR’in de mars 2020 dédié au COVID-19.

4 Cet amendement a été publié le 28 mai dernier (cf. Supplément COVID-19 n°3 de mai 2020)

5 Le n°160 de DOCTR’in de décembre 2019 présente en détails cette décision

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