Quel sera l’impact de la nouvelle Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent sur l’écosystème financier ?

Le 11 avril 2023 |
Le Parlement européen a adopté le 28 mars le règlement instituant la nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent, l’Anti-Money Laundering Authority (AMLA). Dotée de pouvoirs de surveillance et d’enquête, l’AMLA contribuera à une plus grande homogénéité et convergence dans le cadre européen de lutte contre les réseaux de blanchiment et de financement du terrorisme.

Le parcours législatif avancé de ce règlement se poursuit à ce jour dans une étape de négociation entre les principales institutions décisionnelles de l’Union européenne. La prise de fonction de l’AMLA est prévue de manière progressive. Pleinement opérationnelle à partir de janvier 2024, elle devrait débuter sa surveillance directe en 2026.

Quels seront les objectifs et les missions de la future AMLA ?  

Face à des réseaux de blanchiment d'argent parfaitement aptes à opérer au-delà des frontières nationales, l’Europe a opté pour une approche unifiée. La future agence anti-blanchiment européenne aura ainsi plusieurs rôles :

  1. Harmoniser les méthodes de contrôle, la règlementation LCB-FT et son application au niveau européen
  2. Recueillir, centraliser, analyser, et mettre à disposition des superviseurs nationaux (ex : ACPR en France) les données relatives à la surveillance des entités assujetties, notamment à travers la reprise de la base de données de l’Autorité Bancaire Européenne
  3. Superviser les autorités de supervision nationales par la réalisation de contrôles périodiques, afin de s’assurer de leur bon fonctionnement
  4. Faciliter la coopération entre les cellules de renseignement financiers (CRF) nationales (en France : TRACFIN), afin de mieux détecter les flux financiers transfrontaliers illicites. Cela passerapar le développement et la mise à disposition de services et outils informatiques et d’intelligence artificielle pour un partage sécurisé et décentralisé de données entre les CRF européens, notamment via l’hébergement de la plateforme européenne FIU.net.
  5. Surveiller les grands groupes financiers1, à travers deux niveaux :
  • En assurant une surveillance directe des Groupes et entités individuelles au profil du risque de Blanchiment de Capitaux et Financement du Terrorisme (BCFT)
  • Ainsi qu’une surveillance indirecte des autres entités assujetties, par l’intermédiaire des autorités de surveillance nationales

1 Les établissements de crédit établis dans au moins 7 Etats membres (siège, filiales, succursales) et tous les autres établissements financiers exerçant dans au moins 10 Etats membres (siège, filiales, succursales et tout autre état membre avec des activités de prestation directe de services ou réseau de représentants).

Un rôle de moteur dans la lutte anti-blanchiment, assorti d’un pouvoir de sanction

Pour s’acquitter de ses tâches, l’AMLA pourra demander aux entreprises et aux particuliers de lui transmettre des documents et d’autres informations. Disposant d’un large éventail de pouvoirs, l’AMLA pourra mener des actions de contrôle à l’encontre des entités assujetties, et prononcer des mesures de police administratives et des sanctions pécuniaires.

En cas de manquement, elle pourra imposer des sanctions allant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires annuel total de l’entité assujettie au cours de l’exercice social précédent.

D’autre part, l’AMLA disposera également du pouvoir d’émettre des orientations et recommandations envers les autorités nationales de surveillance financière et les CRF.

L’arrivée de cette nouvelle autorité au sein de l’UE vient donc bousculer le paysage actuel et s’accompagnera de multiples impacts sur l’écosystème financier.

Vers une supervision cohérente des acteurs financiers au niveau de l’UE

Grâce à la centralisation et l’analyse des données des entités assujetties , l’AMLA et les superviseurs nationaux disposeront d’une meilleure appréhension des dispositifs de gestion du risque BCFT et de leurs lacunes au niveau européen.

Cette vision globale et transversale permettra d’adapter, de renforcer et d’harmoniser le cadre règlementaire et les pratiques à l’échelle européenne. Elle nécessitera potentiellement une adaptation des activités de la part des entités assujetties.

En parallèle, les superviseurs nationaux devraient accentuer leur surveillance envers les entités assujetties afin de recueillir le maximum de données en vue de la première procédure de sélection des entités, prévue pour juillet 2025.

Dans le cadre de la supervision de l’AMLA envers les autorités de surveillance nationales, des pratiques communes de surveillance des entités assujetties par les autorités nationales seront développées et déployées au niveau européen.

Les superviseurs nationaux devront transmettre à l’AMLA leur plan de contrôle pour l’année à venir. Ces plans pourront être soumis à d’éventuels ajustements de l’AMLA selon divers indicateurs, tels que des observations de l’AMLA, les contrôles passés, les lacunes identifiées, les données disponibles et l’ensemble des plans de contrôle reçus des superviseurs au niveau européen. Ce processus de coordination des superviseurs nationaux conduira notamment à une harmonisation des contrôles et des exigences à l’échelon européen.

L’objectif étant d’aboutir à un système de surveillance plus robuste et harmonisé, la supervision de l’AMLA envers les autorités nationales devrait s’accompagner d’un renforcement de leurs exigences envers les entités assujetties, qui pourra aboutir à des recommandations et des sanctions plus strictes.

À cet effet, le mécanisme de coordination et de soutien aux CRF prévoit une convergence des méthodes d’analyse (outils informatiques, formations prévues par l’AMLA…) et une collaboration plus étroite des CRF dans le but d’améliorer la détection des transactions financières douteuses au sein de l’Union Européenne.

Une surveillance à deux niveaux des entités assujetties

Le projet de règlement établissant l’AMLA confiera à cette autorité une mission de surveillance directe sur les entités assujetties aux profils de risque élevés, et de surveillance indirecte sur les autres entités (c’est-à-dire à travers les autorités nationales de surveillance).

La surveillance directe des entités assujetties sélectionnées prendra la forme de contrôles directs de l’AMLA pouvant être réalisés au niveau des groupes, mais également au niveau des entités individuelles.

En raison de cette surveillance à deux niveaux, les entités assujetties doivent s’assurer de la conformité de l’ensemble de leurs filiales par l’harmonisation des pratiques LCB-FT à l’échelle du groupe afin d’éviter toute sanction.

Cette harmonisation implique une éventuelle révision au niveau groupe du dispositif LCB-FT actuel par l’amélioration de la gouvernance et de la supervision groupe (politiques internes, mesures de surveillance, renforcement des contrôles de conformité LCBFT…).

De ces nouvelles dispositions peuvent découler la mise en place et la mise à disposition au niveau groupe d’outils et moyens suffisants afin de suivre et coordonner la conformité LCBFT (ex : outils informatiques, effectif supplémentaire…). Un impact financier serait alors à prévoir.

Enfin, la surveillance indirecte des entités assujetties non sélectionnées par l’AMLA sera réalisée à travers les superviseurs nationaux au moyen de leurs évaluations et contrôles périodiques.

Comme mentionné précédemment, les entités assujetties feront face à des exigences accrues et inévitables des superviseurs nationaux, d’autant plus que l’AMLA a le pouvoir, dans le cadre de la surveillance indirecte, de reprendre les activités de surveillance d’un superviseur national en cas de défaillance de ce dernier.

En synthèse, l’institution de l’AMLA présente, au niveau européen, des bénéfices considérables en termes de dispositifs de surveillance des entités assujetties, de partage d’information au niveau européen, de coordination entre chaque acteur de la LCB-FT (entités assujetties, superviseurs nationaux et CRF) et, plus généralement, d’harmonisation des pratiques à l’échelle européenne qui peut par ailleurs constituer un levier de détection de risques systémiques en cas de faille.

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