Gains issus d’opérations en lien avec les actifs numériques : quel traitement fiscal à l’issue de la loi de finances pour 2022 ?

Le 12 janvier 2022 |
La loi de finances pour 2022, adoptée le 30 décembre 2021, vient apporter deux modifications à la législation fiscale applicable aux actifs numériques. Ces mesures ne seront toutefois pas applicables avant le 1er janvier 2023.

Tout d’abord, et cette mesure ne sera pas commentée ci-après, l’article 79 de la loi de finances ouvre la possibilité aux particuliers réalisant des plus-values lors de la cession d’actifs numériques d’opter pour soumettre ce gain au barème progressif de l’impôt sur le revenu plutôt que d’appliquer le taux de 12,8% (taux du prélèvement forfaitaire unique).

La seconde mesure, qui vient clarifier un régime unanimement critiqué comme inadapté au secteur particulier des cryptoactifs, concerne l’imposition des gains tirés d’opérations d’achat, de vente et d’échange d’actifs numériques. Lorsque ces gains proviennent d’une activité effectuée dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations, ils seront imposés selon le régime des BNC (article 70).

Voici les précisions ainsi apportées au sujet de la notion d’activité professionnelle.

Un critère actuel inadapté, lié à l’exercice « à titre habituel » de l’activité

A ce jour, les gains tirés d’opérations en lien avec les actifs numériques peuvent être imposés selon trois régimes d’imposition différents :

  • les plus-values réalisées à titre occasionnel par des personnes physiques dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé lors d’opérations d’achat-revente d’actifs numériques relèvent en principe de l’article 150 VH bis du Code général des impôts (CGI) et sont soumises à un taux d’imposition global (impôt sur le revenu et prélèvements sociaux) de 30% ;
  • les plus-values résultant de l’exercice à titre habituel d’une activité d’achat en vue de leur revente d’actifs numériques doivent être imposées selon le régime des bénéficies industriels et commerciaux (BIC) ;
  • les gains perçus par une personne physique en raison de sa participation à la création ou au fonctionnement d’un système d’unité de compte virtuelle relèvent des bénéfices non commerciaux (BNC). Cette hypothèse vise principalement les gains issus des différentes formes de minage.

La qualification des opérations et la sélection du régime de taxation correspondant ne sont pas toujours aisées pour le contribuable. En effet, la frontière est souvent ténue entre les plus-values réalisées à titre privé et celles présentant un caractère habituel.

Le caractère habituel est analysé par l’administration fiscale au regard des circonstances de fait dans lesquelles les opérations sont réalisées : délais séparant les dates d’achat et de revente, le nombre d’opérations réalisées, le nombre d’actifs numériques vendus, les conditions de leur acquisition…L’administration fiscale ne précise toutefois pas à compter de combien d’opérations le caractère habituel est caractérisé et quel délai devrait séparer les opérations d’achat et de vente pour que l’activité conserve un caractère privé.

En outre, ces critères ne sont pas adaptés à une activité en lien avec des actifs numériques. En effet, il est inhérent à l’investissement en cryptoactifs d’effectuer de nombreuses opérations, en raison de la forte volatilité du marché, du fonctionnement extrêmement intuitif des plateformes d’investissement et du fait qu’un ordre de vente ou d’achat peut donner lieu à de multiples transactions automatisées afin d’être satisfait.

L’utilisation d’un critère lié à l’habitude peut donc aisément conduire à la qualification d’activité professionnelle relevant des BIC en raison de la réalisation d’un nombre important d’opérations ou de la réalisation d’importantes plus-values, alors même que cela ne devrait pas être le cas. Afin de remédier à cette situation, la loi de finances a abandonné le critère d’habitude pour déterminer le caractère professionnel de l’activité.

La détermination du caractère professionnel de l’activité par référence aux règles applicables aux opérations de bourse

L’article 70 de la loi de finances pour 2022 a pour objectif de clarifier la notion d’activité professionnelle en lien avec les actifs numériques. Cette notion sera désormais déterminée par référence à des critères similaires à ceux prévus pour les opérations de bourse.

Ainsi, pour déterminer le caractère professionnel de l’activité, les critères à prendre en compte seront qualitatifs plutôt que quantitatifs. La fréquence des opérations et le montant des plus-values réalisées ne seront plus de nature à qualifier le caractère professionnel de l’activité. Les motifs de la loi citent en exemple les éléments déterminants suivants :

  • le bénéfice de frais de transaction préférentiels en raison d’un engagement de réaliser un certain volume d’opérations portant sur des actifs numériques sur une certaine durée ;
  • l’utilisation d’outils professionnels ou de pratiques de trading complexes.

A titre informatif, il est précisé que pour déterminer le caractère professionnel d’opérations de bourse, la doctrine administrative fait référence à la détention, la maîtrise et l’usage d’informations et de techniques d’intervention spécialisées ainsi leur recherche organisée au profit d’opérations boursières nombreuses et sophistiquées. Les gains retirés de cette activité par le contribuable par rapport à ses autres revenus peuvent être pris en compte mais ne sont pas suffisants, seuls, pour caractériser une activité professionnelle (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-10 n° 60 et 70).

Si ces différents critères sont réunis, l’activité sera qualifiée de professionnelle. Elle sera alors taxée selon les règles applicables aux BNC et non plus aux BIC (futur article 92, 1-1° du CGI).

Les incidences de ce nouveau critère sur les modalités de taxation des gains issus d’une activité en lien avec les actifs numériques

Pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2023, les gains tirés d’opérations sur actifs numériques seront imposés selon les modalités suivantes :

  • les plus ou moins-values de cessions d’actifs numériques réalisées à titre occasionnel par un particulier dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé, resteront soumises aux dispositions de l’article 150 VH bis du CGI ;
  • les gains tirés d’actifs numériques en raison de l’exercice d’une activité à titre professionnel seront imposés selon le régime des BNC ;
  • les gains résultant de la participation d’une personne physique à la création ou au fonctionnement d’un système d’unité de compte virtuelle (principalement le minage) resteront soumis aux règles de taxation des BNC.

A compter du 1er janvier 2023, le régime d’imposition des BIC ne sera donc plus applicable aux opérations d’achat en vue de la revente d’actifs numériques réalisées à titre habituel.

En conséquence, les activités actuellement soumises au régime des BIC devront faire l’objet d’une analyse afin de vérifier si elles remplissent les critères pour être qualifiées d’activité professionnelle devant être imposée selon le régime des BNC ou à défaut, si elles doivent être taxées selon les modalités de l’article 150 VH bis du CGI. Rappelons que le régime des BNC, à l’instar de celui des BIC, conduit à la taxation de toutes les plus-values réalisées, y compris lors des échanges entre cryptoactifs.

Afin d’éviter ces problématiques de qualification ou afin de limiter le coût fiscal résultant d’une imposition de tous les gains réalisés à l’impôt sur le revenu, des solutions alternatives peuvent être envisagées dans certains cas.

Les solutions alternatives à la taxation selon le régime des BNC

Pour les contribuables qui souhaitent organiser davantage leurs investissements, la réalisation de cette activité au sein d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés peut toujours être envisagée. Elle permet notamment de bénéficier d’un cadre comptable et fiscal plus précis et d’isoler la gestion des actifs numériques, et les risques associés, dans une structure juridique distincte. Toutefois, l’apport d’actifs numériques à une société donne lieu à la taxation de la plus-value réalisée à cette occasion.

Il sera également possible, en cas d’exercice de l’activité sous une forme individuelle, d’opter pour soumettre cette activité à l’impôt sur les sociétés (taux de 25%) dans le cadre du nouveau statut unique d’entrepreneur individuel à venir, plutôt que de la soumettre au régime des BNC (taux d’imposition variable selon le montant des revenus réalisés). Dans une telle situation, la plus-value résultant de l’affectation des actifs numériques au patrimoine professionnel fera l’objet d’un report d’imposition. En revanche, lors de la cession des actifs numériques apportés, deux plus-values soumises à deux régimes fiscaux différents devront être taxées :

  • une plus-value privée égale au montant de la plus-value réalisée sur les actifs cédés pendant leur période d’appartenance au patrimoine privé de l’entrepreneur ;
  • une plus-value professionnelle correspondant à la plus-value réalisée sur les actifs cédés depuis leur affectation au patrimoine professionnel jusqu’à leur date de cession.

L’entrepreneur individuel envisageant d’opter pour soumettre son activité à l’IS devra donc, pour le calcul de la plus-value privée, suivre très attentivement les actifs numériques détenus à titre personnel qu’il affecte son activité professionnelle.

Les avancées de la loi de finances pour 2022, si elles sont moins ambitieuses que les propositions initialement formulées, permettent un pas supplémentaire vers la structuration fiscale des activités liées aux cryptoactifs. Une analyse au cas par cas reste toujours nécessaire afin d’identifier, pour chaque situation particulière, le régime fiscal applicable et les options possibles.

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